Portée par une onde mélancolique, Keren Ann renoue avec la langue française et confirme son rôle de chef de file d’une pop intimiste. Hypnotique et lumineuse. Sacre bleu TEXTE Christophe ContePHOTO Isaac Marley Morgan P cet esprit de recommencement», dit-elle.certains disques faits uniquement avec La nouveauté réjouissante de cet albumdes machines. J’aime être en contact avec étant qu’il est entièrement chanté enles instruments, sentir une osmose forte. français, langue que Keren Ann avaitAvec les cordes, on se sent plus acteur laissée muette depuis Nolita (2004) pourlorsque l’on chante, il y a une sorte de partir à la conquête du monde et vivredélivrance liée à l’aspect lyrique des un temps à New York. «J’habite désor- orchestrations.C’est une façon de mais à Paris, depuis plus de trois ans, machanger de registre d’un disque à l’autre, fille est scolarisée ici, c’était naturel dede ne pas se maintenir dans une seule revenir au français», reconnaît celle quicase.» Un savoir-faire qui l’entraîne our son 8 album, Keren Ann a choisi leese fit connaître il y a bientôt vingt ans, enentre deux albums à écrire aussi pour le bleu comme emblème. C’est écrit dessus,compagnie de Benjamin Biolay, avec cespectacle vivant (elle est artiste associée Bleue, au féminin dans le titre mais aussi«Jardin d’hiver» qui offrit une dernièreau Théâtre national de Bretagne) ou sur tous les accords au long des dixet inespérée floraison à Henri Salvador.pour le cinéma, comme récemment avec plages, qui évoquent autant le bleu desDepuis, cette amoureuse de LeonardLa Femme la plus assassinée du monde, profondeurs («Sous l’eau») que celuiCohen, Bob Dylan et Carole King a cultivéfilm de Franck Ribière avec Anna Mou- d’un regard amoureux («Bleu»), effleu-un style inspiré des singer-songwritersglalis et Niels Schneider, dont l’action se rant parfois le blues mais célébrantnord-américains, mais toujours imprégnédéroule dans son quartier de Mont- essentiellement l’azur d’une quiétudede cette mélancolie française au fémininmartre. Dans ses chansons, Keren Ann retrouvée. Trois ans après You’re Gonnadont Françoise Hardy a déposé le brevet joue d’ailleurs parfois la comédie : ici Get Love, album sépia qui portait ledans les années 1960. À l’inverse pour- avec un partenaire d’exception, l’ex- deuil d’un héros disparu, son père, latant d’une Hardy, qui fut souvent à la chanteur des Talking Heads David chanteuse ouvre ici un nouveau chapitremerci des autres, compositeurs ou arran- Byrne, qui lui donne laréplique (en fran- nettement plus radieux, en dépit degeurs, Keren Ann maîtrise son art délicat çais) sur «Le goût d’inachevé», magni- quelques légers bleus à l’âme, voire audans toute sa dimension, y compris fique romance sur les amours impossibles. corps, qui assombrissent à peine unlorsqu’il s’agit d’écrire des partitionsMais Bleue, commele fameux Blue disque éblouissant. «Être bleue, c’estpour cordes comme c’est le cas sur Bleue. d’une autre chanteuse vénérée (Joni aussi chercher à être toujours une«J’ai éprouvé cette fois le besoin d’écrire Mitchell) possède quant à li le goûtu débutante, ou en tout cas se mettre danspour les instruments classiques, après bien achevé d’un disque magistral. 59