Dans l’atelier parisien de l’artiste, The Labyrinth ofPassions White, 2010. The Labyrinth of Passions White (2010), in the artist’s Parisian studio. n langue malgache, son tissement ? Ce serait mal le connaître, lui «Lorsque nous l’avons exposé à Cotonou nom signifie «noble qui préfère le futur au passé, et qui se et à Ouidah, en 2017, les spectateurs béni des dieux». L’est- plaît à se résumer d’un mot : l’incertitude. étaient bouleversés. Joël n’impose rien, il ? Un sourire, et Joël «Je n’aime pas les finalités, c’est très dur. c’est un déclencheur d’imaginaire. Cha- Andrianomearisoa lève les J’aime encore moins la satisfaction, c’est cune de ses œuvres est une narration yeux au ciel. Que répondre ? Ce terrifiant. Tout le monde a cru que je ultrasensible, et à Venise, nous étions qu’il sait, c’est ce qu’il doit à sa terre serais heureux d’être à Venise, bien sûr, nombreux, nous les Béninois, à nous natale, Madagascar, et à son éducation, je le suis, mais je suis surtout soulagé. reconnaître dans cette nouvelle aventure.» fils d’une famille bourgeoise «quasi nor- Venise est un examen de passage et les male», qui n’a pas eu la tentation de règles du monde de l’art contemporain De profundis s’établir en France après la décolonisa- sont extrêmement rudes. J’ai porté ce S’il affirme «avec force» son apparte- tion car ils croyaient en leur pays : projet à bout de bras, avec beaucoup nance à Madagascar, et sa fierté d’être à «J’étais un élève obéissant, ni turbulent, de complices, et ce pavillon replacera Venise, Joël Andrianomearisoa fait fi ni rêveur, dans un certain effacement, Madagascar sur la carte du monde. Elle des frontières. «Mes grands-parents comme le veut la culture malgache. J’ai ne sera plus une île à la dérive…» m’ont nourri, inconsciemment. Mon appris le respect des autres et la rigueur Son pavillon à la Biennale, riche d’une grand-père paternel, académicien, fut un du temps, que j’apprécie toujours, même installation titrée I have forgotten the grand protagoniste de la langue et de la si mon travail, sans être dans la provoca- night/J’ai oublié la nuit, hommage indi- littérature malgaches, mon grand-père tion, joue avec l’irrespect.» Il a parfois rect au poète Jean-Joseph Rabearivelo maternel, ingénieur des chemins de fer un air d’enfant sage, ou plutôt confiant, (1901-1937), n’est pas un exercice de malgaches, a mis en place la ligne sûr de son intuition et de son goût pour style extravagant. Il n’a eu qu’un défi : Tananarive-Tamatave. Je lui dois mon «la polyphonie des choses». C’est pour- être lui-même et imaginer une œuvre goût de l’ailleurs.» quoi il a choisi d’étudier l’architecture, à radicale, tel «un grand livre déployé». L’ailleurs, pour Joël Andrianomearisoa, ce Paris, le domaine qu’il connaissait le C’est une pièce qu’il a conçue entre son peut être les prairies enneigées de la moins, y gagnant l’amitié de son «maître atelier creusois, à Magnat-l’Étrange, et Creuse, un tableau de Morandi, un hôtel à penser» : Odile Decq, une «femme en celui d’Antananarivo, avec un unique à Séoul, une escale sur les rives du Bos- noir à l’architecture colorée». En 1998, matériau, un papier de soie noir teint à phore en compagnie de :mentalKLINIK, à 21 ans, il fait la couverture de Revue l’encre, comme de l’aquarelle, et fabriqué la légende du lac Tritriva, les souvenirs Noire. Joël Andrianomearisoa est en Dordogne. «Quand vous vous prome- rêvés du palais royal d’Ilafy, au nord aujourd’hui, à 42 ans, l’artiste le plus nez dans J’ai oublié la nuit, adviennent d’Antananarivo, construit en bois pré- connu de son île-continent, et le plus ici et là des froissements, et un mouve- cieux au XIX sur l’une des collines sacréese reconnu depuis la 58 édition de la Bien-e ment qui se crée comme par mégarde ; il d’Imerina… «Tout me rend mélanco- nale de Venise. y a aussi une pièce sonore qui rythme le lique, mais ça ne veut pas dire que je suis balancement de ces papiers. Non, ce triste. Je travaille sur l’âme des choses et À livre déployé n’est pas un labyrinthe, et il n’est nulle- dans l’exercice de l’oubli, comme le Pour la première fois de son histoire, ment question de territoire identitaire, je chantait Billie Holiday : “It’s easy to Madagascar s’est en effet embossé à la travaille sur les interstices et je pose des remember/ But so hard to forget”.» cité des Doges, représenté par cet questions, mais on peut s’y perdre dans artiste conceptuel à la parole claire et ses émotions.» Ce que confirme Marie- PAVILLON MADAGASCAR Jusqu’au 24.11. libre, amateur de textile – «un médium Cécile Zinsou, présidente de la Fonda- Biennale de Venise. Arsenale Artiglierie. universel» – et de papier. Venise, un abou- tion d’art contemporain éponyme : www.labiennale.org 55 aosiraemonairdnA lëoJ ©