Correspondances carte blanche L a mélancolie n’est pas, d’emblée, le sentiment que l’on rattacheaux musiques sud-américaines. En dehors du Brésil, quifit jadis de la bossa-nova l’ambassadrice douce-amère d’unspleen tropical mondialement partagé, la plupart des sons enprovenance de cette partie du globe ne doivent pas décevoirl’a priori festif et hédoniste que l’on accorde, de loin et parforce, aux musiciens. En Équateur et particulièrement à Quito,la mélancolie est le mot qui revient pourtant au cœur desconversations avec les acteurs de la musique locale, comme uneprévoyance nécessaire, un désir de sincérité en accord avec lamusique elle-même. Au diapason, également, d’un climat qui peut s’avérer si capricieux qu’ilaffecte, non sans une certaine grâce, l’humeur créative des artistes. «Le temps est si changeant ici, que l’on peut traverser toutes les saisons au cours d’une seule journée, confesse Pedro Ortiz, batteur du très beau groupe Da Pawn, et en tant que musiciens nous épousons ces variations.» Hors champ culturel Il fait un soleil radieux ce jour-là, la pluie attendra, et nous sommes attablés sur la minuscule terrasse d’un coffee-shop de La Floresta, le quartier bohème de Quito, celui que fréquentent la plupart des artistes, musiciens, plasticiens ou cinéastes de la scène indépendante locale. Surnommé parfois «le Brooklyn de Quito», ce qui fait sourire ses habitués, on y respire une sérénité et un calme qui diffèrent notablement de l’ambiance électrique new-yorkaise. Pourtant, comme dans la plupart des capitales du monde, quelques lieux regorgent à toute heure de trentenaires, affairés sur leur ordinateur portable, un café à portée de main, qui paraissent déterminés à boucler un projet qui, sans nul doute, va les exposer aux yeux du monde. Le cinéma Ocho Y Medio, baptisé ainsi en l’honneur de Federico Fellini, ne propose pas seulement une programmation pointue venue de tous les continents. Il est aussi ce lieu central de rencontres, poumon d’échanges entre jeunes artistes qui refusent la fatalité d’isolement de la capitale équatorienne. C’est ici que nous a donné rendez-vous Sebastián Valbuena, homme- orchestre du projet Panico, dont le folk ondoyant et intimiste doit autant aux Américains Elliott Smith ou Smog qu’aux maîtres brésiliens Chico Buarque ou Caetano Veloso. «Culturellement, nous n’avons pas connu jusqu’ici le même rayonnement que nos voisins colombiens, brésiliens ou argentins, dit-il, mais quelque chose est en train de bouger depuis une dizaine d’années. Internet nous a offert la possibilité de montrer notre travail en faisant fi des obstacles que constitue cet isolement particulier de l’Équateur.» Le pays se situe littéralement au centre du monde. Un mini-parc d’attractions propose d’ailleurs d’étonnantes expériences de part et d’autre d’une ligne qui sépare les hémisphères Nord et Sud. Mais pour le reste et singulièrement pour la culture, l’Équateur est toujours resté à l’écart, loin des radars, hors champ des curiosités occidentales pour les arts sud-américains. 118