Correspondances comme un roman Ce sont les habits neufs d’Hauteville House que nous décou- vrons en ce jour de printemps. L’austère façade grise avec ses huisseries vert salade peut surprendre – elle était ainsi, du temps de l’écrivain – mais on passerait des heures dans le grand salon rouge, la salle de billard ou cette étonnante entrée au plafond couvert d’assiettes avec, encore une fantaisie hugo- lienne, un petit pan de mur en culs-de-bouteille incrustés dans une dentelle de bois qui laisse passer la lumière. Non loin de là, une vieille Guernesiaise s’émeut. «Dire que je venais jouer à proximité de ce jardin quand j’étais enfant.» Hauteville House est une fierté pour les habitants de l’île. Mais ce n’est pas le seul souvenir de l’écrivain sur «ce coin de vieille terre normande». À quelques pas de là, dans les Candie Gardens, entre deux camélias hauts comme des arbres, sa statue surgit, dédiée à ce «rocher d’hospitalité et de liberté» que fut pour lui Guernesey. Perdu dans ses pensées, une canne à la main et sa cape flottant au vent, Hugo le romantique semble marcher à grands pas, comme sans doute quand il arpentait la côte, lors de ses longues promenades avec sa chère Juliette Drouet. L’écrivain, en effet, s’était arrangé pour que sa famille bien sûr, mais aussi sa maîtresse, puissent le suivre en exil. Juliette habitait Enceinte fortifiée de Castle Cornet, à Saint Peter Port. la même rue, quelques numéros plus bas. Souvent en voyage, The walls of Castle Cornet, at Saint Peter Port. Madame Hugo fermait les yeux. L’après-midi, Juliette et Victor Cobo Bay, sur la côte ouest de l’île. faisaient l’une de leurs balades favorites. Longeant à pied les Cobo Bay, on the west coast of the island. falaises de granit qui tombent dans la Manche, ils marchaient jusqu’à Fermain Bay, une ravissante petite plage de galets protégée par une tour du XVIII siècle. Ils goûtaient la naturee «sévère et douce», les magnifiques sous-bois tapissés du bleu près de Portinfer, qu’il acheta un jour à l’un de ses amis guerne- tendre des jacinthes sauvages. Une douceur aujourd’huisiais. (On ne connaît plus exactement son emplacement, mais renchérie par le célèbre Beach Café de Fermain Bay, l’un des on sait, grâce à Hugo, que l’on pouvait y accéder à pied à meilleurs de l’île. Un but de promenade à ne manquer sous marée basse et y faire des bouquets de «vingt et une fleurs aucun prétexte, pour les amateurs de littérature, mais aussi de différentes, particulièrement odorantes»). gâteaux aux carottes ou de cheese-cakes aux fraises ! Les promesses du temps Inspirations, apparitions Autre lieu d’inspiration, l’étonnant dolmen de Dehus décou- En continuant un peu plus au sud, le long de la côte, on arrive vert peu de temps avant l’arrivée de l’écrivain sur l’île. Ancienne à Moulin Huet Bay. C’est étonnant comme à Guernesey –sépulture d’un chef celte, ce vestige avait de quoi fasciner possession anglaise depuis si longtemps – de très nombreux un homme qui raffolait de «sombres énigmes». Aujourd’hui, noms français subsistent. Des lieux ou lieux-dits qui se nom- ce gros tumulus entièrement recouvert d’herbe n’est pas très ment, encore aujourd’hui, Vue de Rêve, La Folie des Doux facile à trouver depuis la route. Mais à l’intérieur, sa vaste ou Ruette Tranquille. Moulin Huet, quant à lui, rappelle la chambre entourée d’énormes pierres levées, avec son petit présence d’un moulin à eau qui existait encore du temps de menhir au milieu, continue de faire frissonner le visiteur. Hugo. Dans cet endroit qui inspirera aussi de très belles toiles Impossible enfin de ne pas clore cette escapade anglo- au peintre Renoir, le poète aimait tout particulièrement venir normande sans un coup d’œil à la tour Victoria, érigée en 1848 se baigner et pique-niquer avec des amis. On lit dans son pour une visite de la reine et du prince Albert. Comme deux agenda, à la date du 15 août 1860 : «On a perdu une four- adolescents amoureux, Victor Hugo et Juliette Drouet ont un chette d’argent de notre argenterie au pic-nic de Moulin Huet.» jour gravé leurs initiales à l’intérieur. Et tout en haut, Hugo Et quelques lignes plus loin : «la fourchette est retrouvée…» a composé les premières strophes de sa «Chanson des oiseaux» : De proche en proche, on peut ainsi faire le tour de l’île – à pied, «Vie ! ô bonheur ! bois profonds, à vélo –, sauter de baie en baie, de rocher en rocher, et s’amuser Nous vivons. à mettre ses pas dans ceux du grand homme. Innombrables L’essor sans fin nous réclame ; sont les endroits dont on retrouve la trace sous sa plume. Planons sur l’air et les eaux ! Ici un gouffre, là une maison hantée, un ancien domaine Les oiseaux de contrebandiers ou une toute petite île sur la côte ouest, Sont de la poussière d’âme.» 114