Correspondances comme un roman Le Nil ! – Quel beau titre pour un livre de voyage ! À ce nom seul l’ima- gination se met en travail, la curiosité devient impatiente. – Qui n’a rêvé cent fois, en suivant sur la carte ce filet noir onduleux s’évasant dans la Méditerranée par de multiples embouchures, et dont la source est encore un mystère, de laisser là un jour tous les tracas mesquins de la vie, de partir, d’aller, de suivre les méandres du fleuve sacré, du vieil Hopi-Mou, le père des eaux, comme l’appelait l’antique Égypte, et de lui arracher son secret fidèlement gardé par tant de siècles, ou tout au moins d’explorer ses rives qu’encombrent les ruines de prodigieuses civilisations éteintes ? Ce vœu, resté pour nous à l’état de chimère caressée, M. Maxime Du Camp a pu l’accomplir ; il a bu cette eau si salubre et si légère que ceux dont elle a mouillé les lèvres la préfèrent aux meilleurs vins du monde ; il a navigué dans sa cange sur cette vaste nappe à laquelle les anciens donnaient le nom d’Oceanus, s’enivrant d’aspects merveilleux, s’impré- gnant de lumière, remontant le cours du passé avec celui du fleuve ! Heu- reux homme dont nous serions jaloux s’il n’était notre ami et s’il n’avait écrit son voyage, car c’est un devoir pour ceux qui ont le bonheur de visiter ces contrées aimées du soleil où le genre humain planta ses pre- mières tentes, de raconter ce qu’ils ont vu, appris et retrouvé pendant leurs excursions lointaines. À notre avis, l’homme ne saurait avoir de plus noble occupation que de parcourir et de décrire l’astre qu’il habite. THÉOPHILE GAUTIER L’Orient, 1882 The Nile! What a beautiful title for a travel book! This name alone sets the imagination to work, curiosity grows impatient. Who has never dreamed a hundred times—while tracing on a map this winding black line flaring out to the Mediterranean via multiple mouths, whose source still remains a mystery—to one day leave behind all the petty worries of everyday life, to leave, to go, to follow the meanders of the sacred river, of the ancient Hapi, deity of the waters, as it was called in ancient Egypt, and wrest its secret so carefully guarded for so many centuries, or at least to explore its shores piled with the ruins of extraordinary extinct civilizations? This wish, which for us remains a cherished pipe dream, M. Maxime Du Camp was able to fulfill. He drank from this water, so safe and light that those who have wet their lips with it prefer it to the world’s finest wines; he navigated in his cangia over this immense sheet of water which the ancients named Oceanus, intoxicated by its marvels, immersing himself in the light, sailing into the past as he sailed up the river. A lucky man we should envy, were he not our friend and had he not written of his journey, as it is a duty for those who have been fortunate enough to visit these sun-drenched lands, where mankind pitched their first tents, to tell of what they have seen, learned and found during their distant excursions. In our opinion, man has no higher occupation than to explore and describe the star on which he lives.