Boussoles elles & eux Faces cachées Ben Harper & Charlie Musselwhite Une guitare, un harmonica. Et deux musiciens de légende pour convoquer dans un nouvel album ce blues intimiste et rédempteur qui raconte, avec humilité, les morsures de la vie. TEXTE Marie AucouturierPHOTO Yann Le Duc C’est une histoire de faux-semblants. De ce que l’on croit savoir sans entendre, de ce que l’on pense voir et qui n’est pas. Du moins pas comme cela. À commen- cer par cet homme. Cheveu pommadé, vedette de western noir et blanc, brosse- moustache soignée, la chemise légère, dans laquelle s’engouffre le vent qu’il n’y a pas ce jour-là, un jour de plomb et de canicule. Il y a pourtant, dans cet œil clair et malicieux, une litanie de souvenirs que d’autres préfèreraient enfouir, des époques insondables, des solitudes insolubles. Charlie Musselwhite est un blues- man, bluesman parmi les bluesmen, de ceux qui débarquent comme cela, dans le lobby d’un hôtel, l’air de rien, les bleus de l’âme dissimulés sous le cataplasme poli de la bonne humeur. Il rit en bandit, chahute, mais arrive un instant où un morceau de lui-même semble lui manquer. «Est-ce que vous voudriez que j’aille chercher mes harmonicas ?» Et presque sans attendre, le vétéran du Chicago Blues retourne dans sa chambre, pour en rapporter ses outils de travail. «Voilà Charlie et le prolongement de son bras ! Là, vous le voyez enfin entier !» plaisante son entourage. La mallette de métal – un cadeau de Noël de sa fille et de sa femme, il y a des lustres, des mois d’économies dans une ère de pain sec – est couverte d’autocollants de Hells Angels du monde entier. «Ce sont des amis…» Carapace dure, l’écrin se veut piquant. Charlie Musselwhite ouvre le coffret d’un geste précis, lavé de fioritures. Un joyeux pêle-mêle d’harmonicas et de micros s’y donne le la. Le musicien choisit un instrument, l’approche de ses lèvres, le fait feuler, l’œil toujours un peu rieur, mais avec quelque chose d’ailleurs. Il respire un autre air, les anches vibrent, des images de routes perdues et de sentiments poisseux se déroulent sans que l’on puisse rien y faire. Musselwhite s’amuse. Il fait pleurer les sons, les enlace, les bouscule, les essouffle pour les faire ressurgir des abysses. Mais tout cela s’arrête à l’oreille, on ne peut clairement lire ses gestes. «C’est ce que j’aime dans l’harmonica. Tout est caché. Ce que je fais avec ma bouche, personne ne le voit, je suis le seul à savoir, contrairement aux mains des pianistes ou des guitaristes, qui restent toujours visibles». 75