CULTURE ROMAN Un tableau mystérieux SEPT ANS APRÈS LE SUCCÈS DE LA TRILOGIE culte 1Q84, Haruki Mura- kami, l’un des écrivains les plus lus au monde, revient avec un thriller surnaturel. Comment mêler réalisme et fantastique sans qu’une option détruise l’autre ? Tout le livre est une tentative de relier entre eux des mondes a priori séparés, notam- Une odyssée initiatique et envoûtante ment les cultures occidentale et japonaise, ou bien en deux tomes. Le célèbre Haruki Murakami deux hommes que tout oppose, ou encore le visible associe une réflexion sur la peinture etl’invisible… A ce propos, rien de tel qu’un peintre pour personnage principal. Celui-ci vit à Tokyo où il et une plongée dans des univers parallèles. est portraitiste. Murakami interroge ainsi la pratique Par Isabelle Potel du portrait, mise à mal par la photographie et l’image reproductible, et qui doit “faire remonter à la surface” ce “quelque chose Beyond the visible de profond” qui défi nit chaque personne. Quand sa femme le quitte, le narrateur déboussolé atterrit dans une maison isolée dans la montagne, THE RENOWNED JAPANESE AUTHOR HARUKI près d’Odawara, où un peintre célèbre de nihonga (peinture tradition- MURAKAMI COMBINES A REFLECTION ON ART nelle japonaise) a longtemps vécu. Le narrateur apprend que ce peintre WITH A PLUNGE INTO PARALLEL WORLDS. fut à Vienne dans sa jeunesse, au moment de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne hitlérienne. Puis il trouve dans le grenier une peinture How do you interweave fantasy and realism without surprenante, qui reprend le thème mythique du Commandeur assassiné allowing one to undermine the other? The latest par Don Juan mais transposé dans le Japon de l’époque Asuka. Le narra- novel by Haruki Murakami, author of the cult trilogy teur refuse de se laisser distraire : il veut peindre pour lui, se confronter à IQ84, is a literary attempt to build connections: la peur du vide, apprivoiser le rien, et même en faire le portrait, ce qui est between two disparate worlds, exemplifi ed by sans doute l’ambition la plus folle qui puisse animer l’art pictural. Mura- Western and Japanese culture, between two men, kami n’a pas seulement une érudition et le sens du romanesque, il est between the visible and the invisible… habité par le mystère de la représentation. Tournant le dos aux recherches The narrator of Killing Commendatore is a portrait formelles du modernisme, il semble estimer ici que l’art doit avant tout painter living in Tokyo. For Murakami, his profession provoquer “un véritable ébranlement spirituel”. serves as a pretext to question the medium of the Son narrateur — et alter ego évident — rencontre un riche homme portrait in the age of photography and mass repro- d’affaires qui habite une maison luxueuse non loin de là, et qui est prêt duction of images. When his wife leaves him, the à le payer très cher pour qu’il fasse son portrait. Ce Wataru Menshiki artist loses his bearings, not just fi guratively, and ends est très sympathique, les deux hommes ont des conversations passion- up in the mountains near Odawara, once the home nantes, pourtant le narrateur n’est jamais complètement en confi ance. of a famous painter. There he uncovers, in an attic, Néanmoins, quand une petite clochette introuvable se met à résonner an extraordinary canvas on the theme of the Com- la nuit derrière la maison, c’est à Menshiki qu’il fait appel… Comme le mendatore killed by Don Giovanni, transposed to Petit Poucet, Murakami sème sur son chemin quantité d’indices étranges Japan in the Middle Ages. The artist feels his calling (qui font penser à l’auteur polonais Witold Gombrowicz), lesquels peu more deeply than ever: he wants to paint for himself, à peu composent un bouquet confront the fear of the unknown, triumph over noth- entêtant. Viendront bientôt ingness… Plumbing the mystery of representation, the une curieuse apparition dans author seems to feel here that art should above all un registre assez gonfl é de farce trigger a genuine spiritual upheaval. féerique, puis une jeune ado- His narrator/alter ego meets a wealthy business- lescente du voisinage dont le man named Menshiki who is willing to pay dearly narrateur doit faire le portrait, for a portrait of himself. He seems friendly enough, et qui a un lien caché avec but the artist never completely trusts him. Murakami Menshiki. Une chose est sûre : sprinkles his story line generously with strange clues à 69 ans, Murakami entend that gradually converge to form an intriguing tableau. bien s’amuser, y compris des There appears a curious phantom, adding a note choses graves. of fairytale farce, followed by a teenage girl who has a secret connection to Menshiki. Through it all, Le Meurtre du Commandeur, there emerges one certainty: at age 69, Murakami deux tomes : Une Idée apparaît et is determined to enjoy himself, even with weighty La Métaphore se déplace, Haruki subject matter. Murakami, éd. Belfond, 456 p. et 334 p., 23,90 € chaque. 108 / AIR FRANCE MADAME ESSERP OTOHP