CULTURE PORTRAIT “Ces moments où l’on cesse de penser” Dans un cinquième roman foisonnant, la Britannique Zadie Smith parle de l’enfance, de l’amitié, de la danse, de l’Afrique, des désillusions. Un superbe roman mélancolique. Par Isabelle Potel CE JOUR-LÀ, elle n’a pas mis ce turban très enveloppant qui fait partie de son image, qui la fait ressembler à Néfertiti ou à Simone de Beauvoir. Juste un bandeau noir autour d’un chignon, nul maquillage hormis ce rouge à lèvres qui sou- ligne ses taches de rousseur. La romancière de 43 ans, sacrée icône des lettres britanniques en 2000 pour Sourire de loup, qui vit et enseigne à l’Université de New York depuis dix ans, mariée au poète irlandais Nick Laird (ils ont deux enfants de 8 et 5 ans), précise à propos de son cinquième roman, le premier qui “Those moments when dit “je” : “C’est autobiographique dans le sens où l’on peut s’imaginer you stop thinking…” soi-même dans plein de rôles. Mais pas davantage.” La romancière n’aime pas être l’exégète de ses livres, ses personnages parlent d’eux- mêmes et il y en a beaucoup dans cette histoire de deux gamines FROM ZADIE SMITH, A SUPERB AND MELANCHOLIC métisses d’un quartier populaire de Londres dans les années 1980, qui NOVEL ABOUT CHILDHOOD, FRIENDSHIP, DANCE, font des claquettes et rêvent de Broadway. “J’essaye de laisser s’ex- AFRICA AND DISENCHANTMENT. primer mon subconscient. J’ai étudié tellement de livres, mon problème n’est pas de trouver une structure mais plutôt d’en She has been hailed as a force sortir. A l’origine, il y a mon goût pour les comédies musicales in fi ctionever since the release of d’Hollywood, avec lesquelles j’ai grandi…” Et son goût pour la White Teeth in 2000. Now age 43 danse, qui renvoie au dénuement des esclaves noirs car “elle est and a professor of creative writing la forme artistique qui reste quand on vous a tout pris”. at New York University, Zadie Smith Subjuguée par le charisme de sa copine Tracey, dominée par describes her fi fth novel Swing Time une mère engagée, la narratrice grandit sans trop savoir quoi as “autobiographical in the sense faire de sa vie. “J’ai toujours été entourée de femmes fortes. Ici, that you can imagine yourself in la mère de la narratrice, concentrée et sévère, ressemble plus many diff erent roles—but no more à moi qu’à ma mère. Ma mère est plus rigolote, plus légère !” than that.” She does not like to ana- Dans Swing Time, la narratrice se retrouve fi nalement assistante lyze her own books, preferring to let personnelle d’une pop star qui se toque de construire une école her characters speak for themselves. pour fi lles en Afrique ; d’où une seconde partie du livre très diffé- And there are many in this story of two biracial girls rente, qui explore la subjectivité d’une jeune femme confrontée à growing up in the 1980s in London, where they learn ce continent des origines plus ou moins fantasmé. Zadie Smith est to tap dance and dream of Broadway. “I try to let my née d’un père anglais et d’une mère d’origine jamaïcaine, laquelle subconscious express itself,” the author says. “I’ve “a d’abord appris à taper à la machine, puis s’est occupée d’enfants, studied so many books that my problem is not fi nding et quand j’ai eu 11 ans, elle a fait des études pour devenir assistante a structure but escaping from one. The origin here sociale. Mon père voulait être photographe mais il n’a pas réussi. Il was my taste for Hollywood musicals…” est mort avant d’avoir pu lire mes livres”. On échoue aussi à réali- When the unnamed narrator ofSwing Time goes ser ses rêves dans ce roman hyperréaliste, qui est “plein de tristesse, to work for a pop star who wants to build a school for comme la vie”. Mais il y a la musique, la danse, “ces moments où l’on girls in Africa, the narration enters a newrealm, explor- cesse de penser pour juste ressentir, et que j’adore”, dit-elle. ing the subjectivity of a young womandiscovering a Elle aime aussi enseigner (le “creative writing”,ndlr) : “J’ai continent that has loomed large in her imagination. besoin d’être entourée de jeunes, c’est vraiment une vocation.” Smith was born of a Jamaican mother and a white Les enjeux de la littérature aujourd’hui ? “Se détacher de l’individu English father who “wanted tobe a photographer, but pour trouver le moyen de faire entendre des voix collectives. Que failed at it. He died before he could read my books.” le lecteur puisse se reconnaître dans un groupe, un ensemble. Ce Her characters also fail torealize their dreams in this n’est pas facile.” Elle s’y emploie. hyperrealistic novel, “full of sadness, like life.” Still, there is music, dance, “those moments when you stop Swing Time, Zadie Smith, éd. Gallimard, 468p., 23,50 €. thinking and justfeel,” she says. “I love that.” 106 / AIR FRANCE MADAME RD – ADDEZ ALEINAD OTOHP