cvolée. «J’ai découvert l’art de la Renais-sance dans les années 1970, à Florence. Jesuis resté plus d’un an en Toscane, j’aivisité tous les musées, toutes les églises.Quelques années plus tard, j’ai enchaînéavec le Japon. J’ai obtenu une bourseen 1978 et ça a été une période incroyable,où j’ai dû assimiler une autre culture.Depuis, nous avons voyagé dans le mondeentier avec Kira et j’ai compris qu’il existedes passerelles souterraines entre lesdifférents mondes.»Dialogue avec l’angeJe mesure le poids de ces motsaujourd’hui, alors qu’à la Royal Aca-immergé remonte à la surface. Là, unesilhouette féminine qui flotte sur les eauxse dresse devant un mur de flammes.Après quelques minutes, elle tend lesbras, plonge et disparaît dans son proprereflet tandis que l’eau et le feu, peu à peu,se confondent. Là encore, une pluie quise transforme en cascade vient éveiller unhomme inerte. Son corps se soulève peuà peu, jusqu’à disparaître. La pluie faiblit.Seules quelques gouttes ruissellent sur ladalle vide. Bill Viola filme souvent ledernier voyage du corps et l’élémentaquatique est l’un des leitmotivs de sonœuvre, lui qui a failli se noyer enfant.«J’ai ressenti une impression d’apesan- demy of Arts de Londres Bill Viola metteur qui a changé ma vie. J’ai toujours eu ombien de temps faut-il consacrer à en lumière sa filiation avec Michel-Ange.le désir de retourner dans le monde vert- regarder une œuvre dans un musée ? BillPrès de cinq siècles le séparent du maîtrebleu que j’ai perçu ce jour-là. Rétrospec- Viola impose son propre tempo. «Le de la Renaissance, mais le dialogue entretivement, je pense que j’ai vécu une temps est la matière même de mon eux deux prend appui sur les mêmes expérience mystique». Bill Viola recrée œuvre. Les gens qui font l’expérience deéternels questionnements. Pourquoi laincessamment les conditions d’une mes expositions quittent le monde de lavie est-elle aussi éphémère ? Commentimmersion dans l’image, symbolisée par suractivité et de la surinformation etaffronter la mort ? Les êtres disparus dis-les corps plongés dans l’eau. L’exposition entrent dans un autre rythme», m’a-t-ilparaissent-ils vraiment ? Existe-t-il unest une sorte de baptême ondoyant, dont confié il y a trois ans, alors que je luicycle en perpétuel recommencement dontle spectateur ne sort pas indemne. La rendais visite dans sa maison de la mort n’est pas le terme mais l’un descharge émotionnelle est volontairement Long Beach, au sud de Los Angeles. états ? Comment gagne-t-on le droit àpoussée à son paroxysme. L’entretien s’est éternisé, lui aussi. Lesl’éternité ? Une quinzaine de dessins de heures filaient dans l’intimité d’un Michel-Ange trouvent leur écho dans Instants de grâce bureau qui n’était pollué par aucun douze vidéos de Bill Viola, qui ont laAu Japon, Bill Viola a étudié avec un écran. «Ici, a-t-il dit, je ne regarde jamaispuissance esthétique de tableaux digi-maître zen qui lui a confié : «Prends mes e-mails.» Kira, son épouse et colla-taux. L’Américain comme le Florentingarde, quand tu crées une œuvre, de la boratrice depuis toujours, était assise ensont souvent hyperboliques dans leursporter au point le plus incandescent». Le face de lui. La mise en miroir de ce manières, l’un usant d’effets spéciauxvidéaste a retenu la leçon. J’ai encore en couple mythique m’évoquait l’une des quand l’autre déploie sur le papier unemémoire l’anecdote qu’il m’a livrée alors œuvres fameuses de Viola, The Veiling extrême expressivité. Les images reli-que je distinguais, juste derrière lui, le (1995), constituée de tissus translucidesgieuses de la Vierge à l’Enfant, de laportrait souriant du dalaï-lama. «Au suspendus sur lesquels sont projetées lesCrucifixion et de la Résurrection deJapon, j’avais accroché aux murs de ma images d’un homme et d’une femme Michel-Ange ne sont pas d’un grand for-chambre trois dessins. J’ai emmené mon s’approchant lentement l’un de l’autre.mat, mais elles frappent tout autant quemaître zen devant le premier et je lui ai Des galets et des coupelles remplies deFive Angels for the millennium (2001),expliqué longuement mes intentions. Il a sable étaient posés sur la table basse etune installation de Bill Viola composéetoussoté. J’ai recommencé à tout lui des petites feuilles d’arbres séchaient surde cinq vidéos sur grands écrans (Depar-expliquer devant le deuxième dessin et il le bureau. Les étagères de la bibliothèqueting Angel, Birth Angel, Fire Angel,a toussé un peu plus fort. Je me deman- témoignaient d’une longue quête spiri-Ascending Angel, Creation Angel) met-dais ce qui se passait. J’ai réitéré mes tuelle – des exemplaires d’Ibn Arabi, untant en scène le plongeon ou le jaillisse-explications devant le troisième dessin, penseur arabe andalou du XIII siècle,ement, au ralenti, de corps dans l’eau. «Jeil s’est tourné vers moi et il a frappé vio- côtoyaient des recueils de poésies de larecours souvent au ralenti, car cela donnelemment mon front. J’étais abasourdi. dynastie Tang, Le Livre des morts tibé-au “regardeur” le temps d’entrer en pro-Il a crié alors “trop d’informations !”». tain, des sommes sur la mythologie fondeur dans l’œuvre, et en lui-même»,Le monde occidental est fondé sur la grecque ou encore des ouvrages de m’avait-il déclaré à Long Beach, tout enpensée, mais ce jour-là, Bill Viola a Masaccio et de Michel-Ange. Aujourd’hui,servant le thé avec des gestes ralentis decompris que l’art repose parfois sur le pionnier de l’art vidéo rechigne à don-maître de cérémonie. l’acceptation du mystère. «Je ne sais pas ner des interviews et je retrouve dans mesTandis que Bill Viola explore les qualitéstoujours ce que je fais au moment où cahiers ses paroles d’hier, notées à lahypnotiques du slow motion, Michel- je le fais. J’entre dans une forme de Ange semble au contraire dessiner soustranse, je recours à des métaphores pour BILL VIOLA / MICHELANGELO Life Death amphétamines, emporté par sa fougue, exprimer ce qui me vient, je mobilise Rebirth. Du 26 janvier au 31 mars. maniériste avant l’heure. L’exposition estdes moyens et d’énormes équipes Royal Academy of Arts, Burlington House,conçue comme un voyage à travers lespour traduire mes visions, et après, je me Londres. www.royalacademy.org.uk cycles de la vie.Ici, un homme nu sens libre.» 57