dialogue avec l’invisible. Francesco l’art et du cinéma. Il invente un vrai-faux Vezzoli multiplie l’image qu’il a de lui- spot publicitaire où deux femmes (Nata- même. Elle diffracte le possible que lie Portman et Michelle Williams) se recèle l’être. Lui, convoque la mise en battent pour Greed, parfum à son effigie. abîme avec la souplesse d’un contorsion- Il aime les simulacres, les parodies, toute niste, la maîtrise d’un illusionniste. distorsion qui remet en cause la réalité. Le face-à-face du portrait ment : le regard Évoquer sa passion pour la déraison et est un trompe-l’œil. «Le monde entier sa vidéo de Lady Gaga au piano peint est un théâtre», écrit Shakespeare. par Hirst, entourée des danseurs du «Aujourd’hui, le théâtre est dans le télé- Bolchoï ? Hochement de tête laconique : phone», dit Vezzoli. Son premier rêve ? «Je l’ai fait, j’ai rêvé.» Le passé est une Il cherche. «Voir son oncle d’Amérique. pierre posée. Un sourire : «Je ne vais pas Et le Studio 54», temple de la scène recommencer avec Katy Perry, non ?» La aire le portrait de Francesco Vezzoli ? underground new-yorkaise –où alí t postérité ? «À quoi me sert-elle, ici et C’est venir le provoquer sur son terrain, son apparition en vison. maintenant ? Ce qui compte, c’est le lui qui ne redoute pas le «Connais-toi moment.» toi-même» du temple de Delphes. Cette Depuis, sa vie entière est une apparition. Il parle un français presque parfait, injonction à se sonder en bravant les Dans la série «The Mirror 1», il s’im- appris chez Truffaut, l’agrémente d’italia- impasses du labyrinthe, ce Milanais la prime au laser sur toile de coton, en nismes irrésistibles ou de formules au pratique dans son art. En son studio, à portrait tramé, bouche entrouverte. La charme rétro : «La chamade de la félicité, deux pas de la basilique de San Babila, moustache fine, comme Christian c’est l’équilibre.» Quand il ne se prend voici l’homme aux cent visages. Ceux dans Cyrano de Bergerac, la barbe pas pour sujet (Self-Portrait as Emperor qu’il fait naître de ses mains, comme s’il millimétrée, comme un jeune premier. Hadrian Loving Antinous, 2012, une ins- décidait de son propre destin. Être Le portrait pourrait s’arrêter là, dans tallation où deux bustes blancs se artiste ? C’est être magicien. ce classicisme velouté du noir et blanc. toisent), il détourne les icônes. Impéria- Bien sûr, on pourrait évoquer le dandy en C’est à ce moment exact que son art lisme de l’image ? Non. Ode à la faiblesse. noir décontracté, loin de l’austérité. Son entre en scène. Deux éclairs, jaune fluo, Les icônes pleurent aussi : Francesco aisance et sa spontanéité, son art à zèbrent la langueur du regard. Quand coud des larmes sur ces images fortes. La rebours. Après des études d’art à Central la nostalgie croise la culture pop… piqûre, la blessure. Saigner, pleurer, c’est Saint Martins, à Londres, Vezzoli ne Avec «The Mirror 2», ils deviennent faire parler l’intériorité. «Dans l’art, les tague pas, il brode, littéralement. Sur ses vaisseaux sanguins, où la pupille prend larmes sont taboues. On ne pleure pas toiles, aux côtés de ses initiales ornées, racine. Un visage se surimprime, écho au chez Godard… Notre ennemi est pour- l’aiguille intègre sa signature, telle une spiritisme des origines de la photogra- tant en nous-mêmes : nos fantômes, nos épée. Ne clame-t-il pas qu’«être artiste phie. Jeu sur la réalité. Chaque visage peurs, nos ambitions. Avec l’art, je me est un titre de noblesse – qu’il ne mérite couve ses fantômes, Vezzoli les trame au libère d’un désir. Après, je suis plus léger.» pas totalement» ? Espièglerie et irrévé- visible. Dans F BY F Before & After 2, Face au pouvoir et à la frivolité, cette rence sur fond de mèches fugueuses. Le le voici androgyne, fleuri d’un nœud résistante, la larme. Une perle. «La larme rouge est aussi sa couleur, jusqu’au rooi- papillon. Francesco Vezzoli s’offre. Dans est déjà un progrès pour l’émotion. Au bos qu’il boit. Avec du lait. F by F Happily Ever After 1 : le même Louvre, je ne vois pas un portrait avec des Il parle par maximes, oscille entre har- portrait, larmes surajoutées. Francesco larmes», révèle celui qui déteste les diesse et sagesse sous le regard de ses Vezzoli se livre. cadeaux, sauf les parfums à la rose. deux grands-mères, voisines de mur de la Face à nous, le miroitement d’un chanteuse hip-hop Nicki Minaj en com- L’homme est expert en mirages. Dans homme-rosace. Vezzoli est un kaléidos- tesse du Barry. Mais ses œuvres nous une société où l’image est surpuissante, cope. Toute phrase sur lui pourrait être, mettent en garde. Le portrait est un dia- croire et voir sont presque synonymes. à l’image de ses portraits, biffée. Là est le logue avec le visible. L’autoportrait un Alors, Vezzoli estompe la frontière de génie du mythe : il ne cesse de broder. FRANCESCO VEZZOLI Du 3.03 au 10.06. Collection Lambert, 5, rue Violette, Avignon. Tél. +33 (0)4 90 16 56 20. www.collectionlambert.fr 75