LE MONDE DE L’ART I EXPOSITIONS Alexej von Jawlensky, mines du divin Pour ses 20 ans, la Piscine de Roubaix rend grâce à l’œuvre rare du peintre russe, mystique moderne dont les saintes faces auront doté l’histoire de l’art de visages abstraits uniques en leur genre. J ’éprouvais le besoin de trouver uneforme pour le visage, car j’avais com-pris que la grande peinture n’était pos-sible qu’en ayant un sentiment reli-Il s’ouvre sur deux autoportraits : le premier,de 1904, adopte la touche impressionniste, lesecond, achevé huit ans plus tard, présentantune manière fauve à tendance expressionniste.n’est plus que le reflet de son âme, la «nostal-gie de Dieu». Entre portraits du Fayoum etmasques fang, sans âge ni genre, ces têtes mys-tiques puis géométriques, qui l'absorberont gieux. Et ceci, je ne pouvais le rendre que par D’autres bustes suivent. Ses têtes d’avant- jusqu’en 1935, n’ont bientôt plus rien d’hu- le visage humain». Ces mots d’Alexej guerre aux yeux immenses et aux lèvres main. «Ce n’est pas une peinture de chapelle von Jawlensky en disent long sur la place du dodues, qui ont pour Goldberg «l’ovale hiéra- à la Maurice Denis», prévient Bruno Gaudi- sacré dans son œuvre patiente et discrète, tique des madones byzantines», cumulent les chon. Les saintes faces de Jawlensky, qui retardée par une carrière militaire et long- emprunts. «Jawlensky assimile à une rapidité applique sur carton et en série le système des temps éclipsée par celle de son complice Kan- étonnante toutes les leçons de l’avant-garde : proportions mystiques, incarnent le divin dans dinsky – faute, sans doute, de discours théo- Van Gogh, Cézanne, Gauguin… Il regarde ce qu’il a d’universel. Le culte se clôt dans le rique. Russe de confession orthodoxe, l’élève beaucoup et il regarde loin, jusqu’au luministe noir face aux «Méditations» (1928- 1937), d’Ilya Répine veut à son tour peindre l’âme suédois Anders Zorn», remarque Bruno Gau- petits formats «labourés» qui plairont à Josef slave, par essence agitée. La sienne est pleine dichon, conservateur du musée et commis- Albers, László Moholy-Nagy ou John Cage. d’une foi qu’il nourrit en peinture, tentant saire général de l’exposition. Calmes et graves, ses idoles se résument alors d’épuiser son motif d’élection : «Parmi les Sur des murs chocolat, les toiles vives de à l’intersection en signe de croix des sourcils et quelque deux mille toiles produites par Jaw- Matisse, Derain, Vlaminck ou Van Dongen du nez. La peintre Marianne von Werefkin, sa lensky, mille cinq cents ont le visage comme dialoguent avec les siennes. Les résonances muse et compagne, partageait sa vision : thème», recense le professeur Itzhak Goldberg, abondent dans les années munichoises. Ainsi «Pour mouvoir la vie il faut y être inséré fer- commissaire scientifique de cette rétrospective de L’Usine de Oberau de 1910, coiffée, mement. C’est pourquoi nous ne la renions également passée par la Fondation Mapfre comme le Paysage à la tour de Kandinsky pas, nous ne la fuyons pas mais nous l’aimons, (Madrid) et le musée Cantini (Marseille). (1908), de nuages bizarres. Avec la Grande elle et ses formes ; nous les obligeons à servir Toujours plus sommaires, ces portraits très Guerre vient un grand virage, repris dans l’es- notre foi». VIRGINIE HUET serrés croisent paysages et natures mortes, pace par une cimaise courbe : réfugié au bord preuve que le «visage promis» n’est pas inné du lac Léman, l’artiste entame le cycle des «Alexej von Jawlensky (1864-1941) : mais acquis. C’est une figure de synthèse, «Variations», «chansons sans paroles» qui la promesse du visage», La Piscine, l’aboutissement d’une vie passée à l’attendre, déclinent et résument la vue depuis sa fenêtre 23, rue de l’Espérance, Roubaix (59), tél. : et ce parcours chronologique, avançant par à quelques arbres, un chemin, une porte, le 03 20 69 23 60, www.roubaix-lapiscine.com paliers, restitue bien ce sentiment de quête. ciel. La suite est connue : dès 1917, son art Jusqu’au 6 février 2022. LA GAZETTE DROUOT N° 42 DU 26 NOVEMBRE 2021 319 © COPYRIGHT AUCTIONSPRESS