ART & ENCHÈRES I ZOOM RÉGIONS Une sieste à Marrakech avec Majorelle «Le peintre des kasbahs» démontre dans cette composition son génie à magnifier les nus féminins noirs, comme on n’avait jamais osé le faire jusque-là… PAR PHILIPPE DUFOUR E n mars 1934, dans le Pavillon de la d’esclaves amenés jadis de Tombouctou. magnifié de la sorte le corps du modèle noir, Mamounia, se tient une Dans sa célèbre villa-atelier cubiste, l’artiste débarrassé de tout accessoire orientaliste exposition que Jacques Majorelle, va inviter ces femmes noires à poser superflu et clivant. À l’occasion d’un second installé à Marrakech depuis dix- dévêtues : dansant, allongées sur des sofas, accrochage à Casablanca, en août de la sept ans, a organisée pour montrer ses seules ou enlacées, voire debout dans le même année, le journaliste Harry Mitchell dernières productions. Elles vont s’avérer célèbre jardin à la végétation luxuriante, écrit : «C’est un ensemble d’œuvres au bien différentes de tout ce que ses les modèles aux attitudes très libres vont caractère complètement étranger à tout admirateurs ont pu apprécier jusque-là, des l’occuper presqu’entièrement entre les ce que j’ai vu jusqu’ici […] elles sont scènes de la vie quotidienne marocaine aux années 1933 et 1935. l’explosion d’un art.» La consécration de merveilleuses vues des kasbahs de l’Atlas… cette nouvelle veine viendra avec l’exposition Éberlués, parfois choqués, les visiteurs Le succès au rendez-vous à la galerie Jean Charpentier, à Paris, découvrent des compositions célébrant des au Maroc et à Paris du 3 au 16 novembre 1934, comprenant femmes noires, nues, traitées d’une manière Beaucoup feignent de sommeiller, comme 95 toiles sur le thème. Hommes politiques, réaliste et sensuelle, inattendue chez ce très dans ce tableau, La Sieste, Marrakech, où les collectionneurs et critiques y défilent, l’État grand paysagiste. Cependant, leurs corps corps de deux jeunes filles saisies dans une achetant même l’une des «siestes» lascives. d’ébène, emplissant des toiles de grand position contournée, se fondent dans un Mais ce n’est qu’après 1945, que Majorelle format et aux titres évocateurs – tels que riche décor de tissus brodés et de feuilles de devait découvrir véritablement les peuples Nocturne, Invitation ou Clair de lune –, bananier. Les duos équivoques constituent de l’Afrique, en voyageant du Soudan à la finissent par lui valoir une nouvelle célébrité.d’ailleurs le sujet d’une série d’œuvres Guinée. Une dernière série de peintures Un succès qui s’inscrit dans l’engouement comme Le Harem assoupi (collection en résultera : y triomphe toujours la figure pour une Afrique subsaharienne alors en privée), ou La Sieste (musée de Skikda, de la femme, magnifiée à travers portraits vogue, depuis la découverte de l’«art nègre» Algérie), deux toiles reprenant exactement et scènes de marché, aux harmonies plus et celle du jazz portée par une certaine la position de nos belles endormies. audacieuses encore… < Joséphine Baker. Pour Majorelle, la Ces recherches plastiques sont aussi pour rencontre avec ces cultures lointaines s’est l’artiste l’occasion d’élaborer de nouvelles à savoir produite à Marrakech : on y croise, au souk techniques où intervient l’emploi de poudres Samedi 27 novembre, Dijon. et dans les rues, nombre de femmes métalliques d’or, d’argent et de bronze, originaires de la tribu berbère des Glaoua, mêlées aux pigments pour faire scintiller les Cortot & Associés, Vregille-Cortot OVV. servantes ou cuisinières, et descendantes épidermes sombres. Rarement a-t-on Cabinet Maréchaux. LA GAZETTE DROUOT N° 41 DU 19 NOVEMBRE 2021 31 © COPYRIGHT AUCTIONSPRESS