LE MONDE DE L’ART I ATELIER D’ARTISTE Nmusée de la Chasse et de la Nature la réjouit car, dit-elle, «ce musée ressemble à mon tra- vail, il est dans l’idée de l’accumulation». Ajouter, toujours ajouter. D’où lui vient ce besoin de profusion, de détails ? «Je veux que le regard se promène et se reprenne plusieurs fois, mais je dois aussi trouver l’équilibre dans cette idée». D’ailleurs, malgré l’absence de réelle profondeur, se dégage une envie irré- pressible de s’enfoncer dans ces bois, d’aller s’y perdre pour s’y sentir à l’abri ou y frisson- ner. Comme dans une «vraie» forêt, tout prend des proportions particulières et l’on est attiré par ces ombres, ces passages, ces traînées. L’artiste conçoit un espace multiple offrant de nombreuses lectures et où tout est en mouve- ment : un monde mental, né du dessin. Son inspiration ne se limite pas aux contes et légendes de l’enfance pour autant, l’ex-pen- sionnaire de la villa Médicis voyageant beau- coup plus loin dans l’histoire classique. Le tra- vail étant manuel, lent et répétitif, l’esprit a le temps de divaguer, de s’échapper du quoti- dien pour rejoindre un espace vierge : celui de l’installation en cours d’élaboration. C’est par la fabrication qu’Eva Jospin est reliée au monde. Si les sources auxquelles elle puise sont multiples, elle évoque souvent l’architec- ture des jardins, regardant les folies naturelles que sont les grottes et les cascades, celles clas- Détail de l'œuvre destinée au musée de la Chasse et de la Nature. siques offertes par les colonnades ou les pyra- © MUSÉE DE LA CHASSE ET DE LA NATURE - BÉATRICE HATALA/ADAGP, PARIS, 2021 mides, les folies champêtres aussi… Dans son discours revient régulièrement l’idée du nym- phée, cette alcôve merveilleuse où jaillissait une source : les premiers, espaces sacrés, de feuilles pendant des heures de patience Giverny, le thème de la nature y étant le remontent à la Grèce antique. On les attentive. Car ses paysages forestiers et cœur palpitant. Cet été, elle y a déjà déposé retrouve ensuite chez les Romains et dans les minéraux monumentaux foisonnent de deux installations permanentes dans le jar- jardins baroques. Tous sont prétextes à créer détails, de lianes, de perles, de papiers colo- din, dont un Bois des nymphes qui se fond des sensations. Il s’agissait hier de divertir l’es- rés, en autant de vibrations subtiles qui les dans la charmille. Pour l’exposition, bénéfi- prit du promeneur et aujourd’hui, celui du rendent vivants. Mais attention, il s’agit d’or- ciant d’une carte blanche, elle a réfléchi à visiteur. nementation, pas de décoration ! Si elle mettre en scène un dialogue entre la collec- reconnaît une dimension un peu obsession- tion permanente de peintures de Bonnard, Promenons-nous nelle dans ses sujets – « ils sont ancrés et ne Denis, Caillebotte ou Monet et ses œuvres. dans la métamorphose partiront pas » –, l’artiste a l’impression que Son rêve est de réaliser tout un jardin, mais Si la présence de machines dans l’atelier plus elle les explore et plus elle en ouvre le un jardin d’aujourd’hui, en réfléchissant aux peut d’abord surprendre, celles-ci s’avèrent champ de lecture. «Je ne cherche pas des interactions avec la nature. L’homme est de indispensables. Une fraiseuse sert à décou- ruptures mais des élargissements». fait dans la création et en a viscéralement per les fonds solides, une scie sauteuse à D’ailleurs, on va pour la première fois péné- besoin : «Il va toujours produire mais doit façonner les rochers, une scie à chantourner trer dans l’une de ses forêts. Au musée de la réfléchir à comment le faire.» Même si elle pour les petites stalactites, les troncs et les Chasse et de la Nature, Galleria sera un ne veut «pas être dans une case écolo, c’est branchages qui constituent les entrailles, des espace à traverser. Saura-t-on enfin ce qui se trop de responsabilités», l’écologie est donc bandes et des disques pour le ponçage… cache au fond de ses bois ? Oui et non : un aspect de son travail. Elle s’affirme totale- Chacune tient sa place dans l’orchestre et passé le balcon de lianes, une galerie archi- ment en phase avec son temps, le XX sièclee joue une symphonie assourdissante. Une tecturée faite de plinthes et de niches, amé- ayant ouvert un accès illimité à tous les maté- fois que le volume et la forme sont stabilisés, nagée à la manière d’un studiolo de la riaux. À voir son actualité, on pourrait se que les couches sont superposées, créant des Renaissance, attend le visiteur. Une sorte de demander ce qui fait ainsi courir l’artiste et perspectives multiples mais sans ligne de résumé de son travail, les niches abritant une où elle puise son énergie. La réponse est là, fuite, il faut travailler la surface comme pour grotte, un cénotaphe, une broderie… Le sous nos yeux : la forêt a toujours été un lieu n’importe quelle sculpture : c’est la phase trouble est là, invitant à passer d’un espace à pour se ressourcer. On appelle «djinns», finale, celle de la ciselure. Eva Jospin un autre, donnant vie aux recherches de «dévas», «lutins» ou «fées» les esprits qui la fabrique à la main, avec un cutter, toutes les métamorphose. Elle sera tout autant chez peuplent… On peut désormais ajouter à petites frondaisons, et les habille d’une peau elle au musée des Impressionnismes de cette liste le nom d’Eva Jospin. < LA GAZETTE DROUOT N° 41 DU 19 NOVEMBRE 2021 273 © COPYRIGHT AUCTIONSPRESS