LE MONDE DE L’ART I PORTRAIT "Je suis profondément convaincu que nous, marchands, sommes des passeurs" œuvres réalisées du vivant des artistes, et d’or- acquérir ! » Son premier coup de cœur était ganiser deux à trois expositions par an accom- un tigre dévorant un gavial d’Antoine-Louis pagnées de catalogues. » Il renforce égale- Barye. « Rien que de savoir que l’œuvre, ment sa visibilité à l’international en multi- à la patine sublime, avait été produite par l’ate- pliant les salons : le PAD et la Biennale des lier de l’artiste et qu’elle était certainement antiquaires (devenue Biennale) à Paris, Mas- passée entre les mains de Barye lui-même terpiece à Londres et en mars prochain, il m’a beaucoup ému. Iconique et récompensée sera à la Tefaf à Maastricht, dans la section au Salon de 1831, elle figure comme un Showcase. Le succès est donc au rendez-vous travail charnière, car elle marque le début des et, en septembre 2020, il a rejoint le cercle très commandes publiques et de celles du duc sélect des marchands installés quai Voltaire. d’Orléans. Je l’ai gardée de nombreuses années « À force de faire des expositions et de scéno- à la maison avant de pouvoir la transmettre à graphier nos pièces au mieux, je me suis un collectionneur. » La fourchette des œuvres rendu compte qu’un deuxième espace était présentes dans la galerie va de 3 000 € pour un devenu nécessaire, pour mettre les sculptures petit lapin de Barye à 450 000 € pour un petit en valeur. » Là, prestige oblige – « j’ai l’im- modèle, dit aussi « 2 réduction » dee L’Âge d’ai- pression que le quai Voltaire est un peu le rain de Rodin. Et à chaque fois donc, il s’agit de saint Graal chez les marchands comme l’est la fontes exécutées du vivant de l’artiste. Tefaf pour les foires » –, dominent les noirs et les dorés. Proximité et confiance L’autre point important qui s’est imposé en Tout est question de passion, que ce soit la 2015 était le choix de défendre et d’affirmer sa rencontre avec la sculpture ou les discussions vision de l’art, et non de répondre à une mode avec les amateurs. Cette dimension humaine ou un goût général. On n’y trouvera donc pas remonte à la propre histoire de Nicolas Bour- de moutons ou autres animaux de François- riaud. Son père, marchand spécialisé en art Xavier Lalanne, habitué aux enchères million- nouveau et art déco, lui a donné l’envie d'en- naires, mais plutôt des œuvres de François trer dans l’aventure, puis d’autres profession- Pompon, Rembrandt Bugatti, Joseph Ber- nels ont affiné son goût pour la sculpture, lui nard, Auguste Rodin, Antoine Bourdelle, qui était au début plutôt généraliste : Pierre Georges-Lucien Guyot, Antoniucci Volti… Landrieux et François Fabius. « J’ai des souve- Des pièces qu’il aimerait collectionner. Est-ce nirs encore vifs et très présents des visites que frustrant de ne pas pouvoir les garder ? « Non je faisais dans la galerie Fabius en tant que car je suis profondément convaincu que nous, jeune marchand ; il était toujours prolixe sur marchands, sommes des passeurs, donc le plai- des artistes comme Barye ou Carpeaux. » sir est dans ce rôle et dans la perspective du Aujourd’hui, à son tour, il prend plaisir à coup de foudre pour la prochaine pièce à échanger émotions et connaissances avec des clients qui peuvent rester plusieurs heures à débattre sur les maîtres animaliers ou sculp- teurs, mais la relation de proximité et de confiance peut devenir délicate lorsque, invité à pousser la porte des intérieurs des collection- neurs, il découvre que certaines des œuvres sont fausses. « Si un client me demande mon avis, j’ai pris le parti de le donner, même si Joseph Bernard (1866-1931), cela risque de le froisser et pour moi de le per- Jeune fille à sa toilette, dre. Cela va dans le sens de son intérêt, car il vers 1910, bronze à patine est peut-être encore possible pour lui de se nuancée brun-vert, signé, retourner contre le vendeur et ainsi de se faire fonte C. Valsuani à la cire rembourser. On ne vend pas que des objets, perdue, numérotée IV, on raconte une histoire, on apporte une exper- 64 x 21,5 x 18 cm. tise, on partage une passion. Il s’agit là du mot PHOTO FRANÇOIS BENEDETTI GALERIE NICOLAS BOURRIAUD le plus important dans notre métier ! » < 316 LA GAZETTE DROUOT N° 42 DU 26 NOVEMBRE 2021 © COPYRIGHT AUCTIONSPRESS