LE MONDE DE L’ART I PORTRAIT Nicolas Bourriaud, tribun de la sculpture du XIXsièclee En vingt ans, il s’est fait un nom comme marchand de sculptures du XIX sièclee et modernes, mais aussi dans ce secteur de niche qu’est l’art animalier. 2022 marquera la première participation à la Tefaf de cet habitué de la Biennale. PAR STÉPHANIE PIODA La première chose qui frappe grande série. Je pense à Pierre-Jules Mène 1875). Les collectionneurs font monter les lorsque l’on pénètre dans sa gale- (1810-1879) ou à Emmanuel Frémiet (1824- prix pour de belles pièces atypiques ou ico- rie de la rue du Faubourg-Saint- 1910), des artistes très intéressants mais dont niques, tel le buste Pourquoi naître esclave ? Honoré, c’est la couleur des murs : le nombre important d’exemplaires produits qui est très recherché. Ce grand sculpteur du un rose-mauve, le genre de teinte qui aurait dessert les éditions hors norme et exception- XIX siècle commence à être au niveau qu’ile pu basculer du côté du kitsch si le pourcen- nelles. En cela, il faut privilégier les fontes dumérite. » tage de bleu et de rouge n’était pas idéal. vivant de l’artiste et acheter 1 000 € de plus un Mais Nicolas Bourriaud a fait appel à la scé- cheval sorti de son atelier avec une belle Repositionnement stratégique nographe et architecte Gaëtane Desproges, patine et une ciselure supervisées par lui, plu- Ici précisément, Nicolas Bourriaud justifie le qui a identifié le rose-mauve élégant qui se tôt qu’un exemplaire de Barbedienne ou de repositionnement de sa stratégie depuis qu’il démarque et est d’ailleurs devenu la note Susse plus tardif qui aurait plus de chance de a investi la rue du Faubourg-Saint-Honoré en identitaire de la galerie : à chaque salon, le subir une décote dans le temps. En vingt ans, 2015. Il venait de quitter le Louvre des anti- galeriste introduit un élément de mobilier aux le prix de ces œuvres, pour certaines jugées quaires comme tous ses confrères, contraints mêmes couleurs. S’il est conquis aujourd’hui, très classiques, a chuté de 40 voire 50 %. Par et forcés suite au projet non abouti de la les discussions avaient été vives autour de ce exemple, un très beau cheval de Mène, qui Société foncière lyonnaise – propriétaire des projet – on pourrait même parler de bras de valait 50 000 F (environ 7 500 €, ndlr) au espaces – de transformer ce temple du bel fer – tant elle était persuadée de la justesse dudébut du XXI siècle, s’échange aujourd’huie objet en centre commercial dédié à la mode. résultat et que lui était frileux. Il est clair queautour de 3 000/4 000 €. À l’inverse, ceux Qu’à cela ne tienne, la mésaventure s’est ce choix participe, avec un mobilier épuré et d'œuvres d’artistes établis ont ont crû très for-transformée en véritable opportunité. « Il fal- design, de la dynamisation des sculptures tement : une belle fonte de Rodin a pris de lait trouver un espace assez grand, évolutif, qu’il présente, dont certaines ont pu être un 30 à 40 %, une augmentation qui touche éga- à un prix correct car les moyens de la galerie temps étiquetées, à tort, désuètes. Cet écrin lement les artistes animaliers. Nous avons à l’époque n’étaient pas ceux d’ aujourd’hui. » de modernité reflète également l’engoue- vendu 30 000 €, lors de notre exposition L’arrivée à la lisière du « triangle d’or» corres- ment notable des dernières années pour les consacrée à Georges-Lucien Guyot (1885- pond à une nouvelle étape, presque un nou- sculptures du XIX et du début du XX siècle.e e 1973) au premier semestre 2021, un bronze veau départ, comme il l’explique : « Le point Lui qui a commencé à travailler en 2000 peut animalier qu’un client avait acheté en 1995 à zéro est revenu à ce moment-là. Il y a eu un témoigner de l’évolution des prix, « qui ont Drouot 12 000 F (autour de 2 000 €, ndlr). gros changement dans ma manière de travail- beaucoup fluctué et énormément baissé pour Je peux pointer un autre artiste pour lequel le ler, avec l’envie d’augmenter encore la rigueur les œuvres d’édition classiques tirées en marché réagit, Jean-Baptiste Carpeaux (1827- que j’avais, en proposant principalement des LA GAZETTE DROUOT N° 42 DU 26 NOVEMBRE 2021 315 © COPYRIGHT AUCTIONSPRESS