5 Comment préparez-vous la construction d’une planche ? Avant de dessiner, je délimite l’espace auquel j’aurai droit. Je m’assure de l’emplacement et du volume des textes. C S’est essentiel.i je me sens à l’étroit, je réduis les bulles, les cartouches – sans dénaturer le scénario. Un pavé de texte massif sera réparti sur deux ou trois cases. Puis vient la mise en scène. Ariane parle la première ? Je la place à la gauche de Germain. Chez moi, ce souci de clarté est quasi obsessionnel. Il vient de l’enseigne- ment que j’ai reçu de Mézières à la fac de Vincennes, dans les années 70. Règle absolue : le lecteur d’une BD ne doit pas interrompre sa lecture parce qu’il ne comprend plus ce qui se passe, ni quel personnage parle. Souvent, hier comme aujourd’hui, les bulles s’enchevêtrent. Dans un superbe clas- sique comme Blueberry, on trouve même des flèches pour baliser le sens de lecture ! Si le Giraud de l’époque avait été le Juillard d’aujourd’hui, les textes de Charlier auraient subi un rabotage séreux. Ce n’est pas une ques-i tion d’ego. Simplement, la vraie littérature de la BD, c’est le dessin. L’un des albums les plus littéraires que je connaisse estArzach, de Moebius: il est muet. Regardez Hergé. Ses bulles sont réduites. Ce sont les images qui prennent en charge le récit. On voit, et ça suffit. Martin, Jacobs et d’autres auteurs de premier plan, souvent très attachants, ont péché par overdose de texte, oubliant que celui-ci devait rester sec et nerveux. Travaillant en duo avec un scénariste, comment vous appropriez-vous cette BD commune ? Pour moi, l’appropriation est visuelle. Le scénario comporte des indications du type « gros plan », « contre-plongée », etc. ? Je n’en tiens absolument aucun compte. Mais j’épure légèrement les dialogues : ils doivent être raccord avec le visuel. Si je n’ai pas en tête la même image que le scéna- riste, l’échange verbal despersonnages ne sera pas en phase – comme un film aux sous-titres décalés. Parfois, j’ajoute une séquence intégrale. Sur Quinze ans après, je suis allé loin. J’ai mis en scène le viol d’Ariane par des soudards, suivi d’une tirade sur le comportement masculin. Ici, j’avais trois buts : aérer le récit, le doper et lui donner du sens. J’ai d’autres recours pour fluidifier la narration. Un dialogue est long ? Si les protagonistes se trouvent dans une pièce, j’intercale un plan extérieur et je fais sortir la bulle par la fenêtre. Lorsqu’une séquence se déroule dans un endroit inédit, la première case est dévolue au lieu lui-même – par exemple, Ariane visitant Cinq-Mars dans sa geôle. Idem pour les cases muettes dont je prends l’ini- tiative. La mise en scène est ma prérogative. Avec Le Cahier bleu et Après la pluie, vous vous êtes assis dans le fau- teuil du scénariste… Pour deux raisons. Je voulais me défaire de ma casaque de « pape de la BD historique», d’ailleurs largement usurpée car j’ai dans la catégorie des confrères de haut vol. Et je voulais me prouver que je pouvais écrire une histoire au long cours.Il fallait donc que je prenne mon public à rebours. Que je quitte le passé pour le contemporain, l’aventure pour le marivaudage. Je n’avais aucun début d’histoire. Mais je venais de réaliser pour Alain Beaulet une série d’illustrations consacrées à la ligne 6 du métro parisien, en partie