9 Le Pied tendre, Ma Dalton, Les rivaux de Painful Gulch, Le Grand Duc… On ne parlait pas encore d’ami imaginaire à l’époque, mais c’est ce qu’il était pour moi. Parfois je le voyais en rêve, souvent je me demandais ce qu’il ferait dans telle ou telle situation. J’adorais l’humour pince-sans-rire de Goscinny et le trait de Morris, j’ai découvert plus tard son art de la mise en scène, sa façon d’aller à l’essentiel, son obsession d’être toujours le plus intelligible possible. Morris raisonnait en illustrateur, en graphiste ; ses demi-pages d’ouverture de séquences étaient très schématiques avec des axes de composition ultra centrés, soit en croix, soit en rectangles. Il a poussé cela très loin, mais je n’ai pas cherché à l’imiter, me caler sur ses codes. Même si cela reste avant tout un hommage j’aivoulu ramener Lucky Luke dans mon univers, pas le contraire. Leuccès ds e L’Homme qui tua Lucky Luke a rendu possible un second album,Wanted, où j’aborde la délicate question des relations du cowboy avec les femmes, assez peu présentes dans la série originelle. En gros, il y a Ma Dalton et les danseuses de saloon ! Mais dans Wanted, il y a aussi un sous-texte, celui de la « reprise » d’un person- nage de BD iconique par de nouveaux auteurs. Pourquoi le fait-on ? Que recherche-t-on, un peu de gloire, de puissance, d ue l’argent ? Qu’est-ce qe çadit de nous aussi ? Évidemment ce n’est pas mis en avant, l’aventure reste l’objet premier de l’album, mais ces questions m’ont beaucoup aidé dans le développement de l’intrigue. Charlotte Cela faisait très longtemps que j’avais envie de travailler avec Fabien Nury. J’ai toujours été bluffé, quel que soit le dessinateur avec lequel il travaille, par la densité de ses histoires. Sa maîtrise du scénario est étonnante, elle est nourrie par une connaissance approfondie de la bande dessinée, mais aussi du cinéma et des séries télévisées. C’est quelqu’un d’exigeant qui relit les story-boards avec l’œil d’un directeur artistique et qui manie l’ellipse avec brio. En peu de cases, il sait aller à l’essentiel. J’ai beaucoup appris avec lui sur la narration et sur le rythme, la manière d’alterner des séquences aux tonalités très différentes, d’être concis sur certains épisodes et de prendre son temps sur d’autres, toujours dans l’intérêt de l’intrigue. Initialement, Charlotte Impératrice, l’histoire de cette princesse belge devenue l’éphé- mère impératrice du Mexique à la fin du XIX siècle, devait être une trilogie,e il y aura finalement quatre albums. Récits historiques À la différence d’autres de mes albums où la documentation était chiche, pour Charlotte, entre les peinturesd’époque et les débuts de la photogra- phie, j’avais l’embarras du choix. Même si l’idée n’est jamais de faire un « beau » dessin pour épater la galerie, une prouesse technique, j’aime que les objets et les décors que je représente soient les plus fidèles possible. J’ai fait la visite – virtuelle ou pas – de tous les palais que j’ai dessinés dans l’histoire en Belgique, en Autriche, au Mexique. Même si ce n’est pas destiné à retenir l’œil, un certain réalisme dans le détail, les proportions et la fac- ture apportent plus de crédibilité à l’histoire. Inconsciemment le lecteur doit autant ressentir le faste des tenues queporte Charlotte, la rigidité du corset, la consistance des étoffes que le poids du Colt dans la main de Lucky Luke !