10 Ce retour éternel à mes deux favorites de papier vise peut-être à les sortir de leurs albums. À leur donner une épaisseur de vie et à les posséder davantage. Sans nostalgie. L’action et le mouvement comptent parmi les premières cordes de votre arc. Pourquoi n’avez-vous jamais recouru à des mises en page plus dynamiques ? J’aime quand ça bouge. La planche du Cahier bleu sur laquelle Victor ima- gine Louise courant sur la cendrée et tous mes duels à l’épée ont été de grands bonheurs créatifs. Mais je ne suis pas adepte des mises en page éclatées, en puzzle, en labyrinthe, façon comics ou Métal hurlant. Je n’ai jamais ressenti comme une contrainte la géométrie de mes cases : la dyna- mique y est donnée par le contenu de chacune et l’enchaînement de toutes. Je le répète, la lecture d’une BD doit être évidente. La case est mon unité de base, car j’ai le goût de la miniature. Comment l’expliquer ? Cet attrait pour la réduction vient certainement de la BD, dont je me suis gorgé, tout gamin. Dans Tintin ou Spirou, les cases imprimées étaient encore plus petites que celles de l’original. Alors, à quoi bon réaliser des planches immenses, avec des textes eux aussi immenses ? Pour Blake et Mortimer, je travaille sur un format supérieurà celui que j’utilise couramment, parce que chaque planche de la série compte jusqu’à dix cases, quand ma moyenne personnelle s’éta- blit à huit. Comme toujours, le métier pratiqué influence la manière. Quelle est votre relation à la couleur ? Comment l’utilisez-vous ? Pour Blake et Mortimer, je délègue ce travail, car le dessin de la série est lui- même très lourd. C’est mon ami Didier Convard qui l’a assuré avec brio pour La Machination Voronov, mais il est essentiellement scénariste. Madeleine de Mille l’a donc relayé, avec beaucoup de talent. Pour les autres projets, j’ai toujours tenu à faire mes couleurs. Je les conçois au moment du dessin. Évidemment, ici le repentir est impossible. Tout au plus peut-on modifier la teinte vers le sombre ou la faire virer – un jaune très aquarellé posé sur du bleu va donner du vert. Je peux aussi rajouter une couche lorsque le contraste n’est pas suffisant. Pour Le Cahier bleu, j’avais choisi une palette pastel, allant de pair avec un trait bien plus fin que celui des Sept vies de l’Épervier. J’avais également laissé dans les ombres un peu de crayonné, afin de donner une matière sur laquelle je reviendrais ensuite à l’aquarelle. Voyez, sur la planche 28, le Maghrébin de la troisième case. Le procédé donne une teinte légèrement grise... Pour l’illuminer, j’ai rehaussé l’image avec un peu de couleur, comme la cravate rouge vif de Victor. Quant à la rame RATP, j’ai choisi d’ignorer sa couleur officielle. Car ce bleu n’en est pas un. Il m’énerve. Il tourne vers le vert sans être un turquoise. Donc, j’ai utilisé un vrai bleu. J’ai repeint le métro ! Vous séparer de vos originaux, est-ce un déchirement ? Tel a été le cas. Pendant un temps, j’isolais jalousement ce que je comp- tais vendre de ce que je désirais garder. Puis j’ai décidé de me détacher. Le caractère valorisant d’une vente – dans tous les sens du terme ! – est évident. Tout comme le fait qu’un original trouvant acquéreur après des années d’assoupissement dans un carton à dessin entame une nouvelle vie.