11 Il va émouvoir. Intéresser. Et qui sait, passionner. Ce que je souhaite ? Que son acquéreur soit mu par le même cœur que j’ai mis à le réaliser. Lorsque je vends un original, c’est presque toujours le cas, et ça me ravit. Le marché de la BD ignore les coups de pub extravagants qui font le buzz du contem- porain. C’est heureux. Certes, il connaît lui aussi la sous-cote et la surcote, mais tel est le prix à payer pour qu’il gagne ses galons de marché d’art à part entière. Et pour que ses dessinateurs aient rang d’artistes de plein droit. Personnellement, je me contente de ce statut. J’aime les œuvres, j’en possède, mais mon désir d’accumulation est tout sauf frénétique. Sur mes murs, j’ai surtout des créations d’amis, François Avril, Jacques de Loustal, Lorenzo Mattotti, Dominique Corbasson… Et en attente d’accrochage, des dessins d’Ever Meulen, des strips de George Herriman, par exemple. Les uns et les autres m’émeuvent tout autant. Vous avez une carrière longue et pleine. Désormais, de quoi vous gar- dez-vous ? À quoi veillez-vous ? Du temps de Masqerouge, quenous publiionu s dans Pifavec Patrick Cothias, je dessinais dix planches par mois. Selon les standards actuels, c’est stakhanoviste ! J’y arrivais, mais sans doute un peu vite. Quand les éditions Vaillant nous ont donné congé, nous vonsattaquéLesSpta e vies de l’Épervier et j’ai découvert un luxe : celui de prendre mon temps. Recommencerce qui ne me satisfaisait pas, fluidifier mon dessin, exlorer…p Ça a été un épanouissement. Aujourd’hui, je veux conserver ce privilège. L’affaire exige un effort constant. Je ne me suis amais mis en roue librej en me disant, ça y est, je possède mon métier à fond. C’est une prudence essentielle. Même lesplus grands de la BD ont eu tendance à dénaturer leur style, en fin de carrière. Le dessin si simple, si acéré et si dynamique de Franquin s’est compliqué et enjolivé de hachures à mon sens inutiles – je ne pense pas aux Idées noires, qui le justifiaient, mais aux derniers Gaston. Idem pour Jijé, Hubinon et même Hergé. Si j’ai laissé tomber mon rituel matinal du croquis de cheval, je continue à faire des gammes, comme un pianiste. Les études de bretteurs et le dessin inspiré par Plume aux vents, qui se font face dans ce catalogue, en sont un exemple. Au fond, il existe sans doute un parallèle entre le golf et le dessin. C’est l’état d’esprit. Devant ma planche ou sur un parcours, je ne cherche pas à être le meilleur. Juste à me faire plaisir. Je vise la sagesse.