7 Pour sortir de l’époque contemporaine, avez-vous trouvé refuge dans le dessin ? Mon premier refuge a été la lecture. J’ai dévoré en totalité la collection des Contes et légendesque publiait Nathan. Ma grand-mère, directrice d’école, en gardait tout un stock : ces livres deviendraient des prix de fin d’année. Ce qui me plaisait, c’était leurs illustrations. J’avais mes artistes favoris. J’hésitais à lire certains textes lorsque le dessin me déplaisait. Quant au goût de l’histoire… Encore aujourd’hui, il est propre à beaucoup d’enfants. En librairie, les ouvrages sur la chevalerie abondent. Et puis, j’avais un grand-père campagnard qui me racontait à ce propos des histoires mer- veilleuses. Il m’avait fabriqué une épée, un bouclier et m’appelait son petit chevalier. Je suppose que ça marque. Pour revenir à mon désir de fuir l’époque contemporaine, il a déterminé ma rencontre avec la série Blake et Mortimer. En 1987, l’éditeur m’avait approché pour continuer Les Trois Formules du professeur Satō. Je ne me sentais pas capable de m’inscrire dans le style de Jacobs et d’autre part, le scénario ne me plaisait pas du tout : il prenait place dans le monde contemporain. Pour moi, cette série s’articule autour du Royaume-Uni des années 50, point. Dix ans plus tard, on m’a proposé La Machination Voronov. J’avais évolué. J’ai accepté, et j’aitrouvé épatant d’entrer dans un univers créé par autrui tout en restant moi-même. De toute façon, un dessinateur qui reprend les personnages d’un confrère ne peut totalement renier son propre style. Il y a des auto- matismes impossibles à oublier. C’est presque physique… J’ajoute qu’il n’existe aucune compétition entre les divers repreneurs de la série, et ils sont nombreux ! C’est un peu comme le golf, sport que je pratique le plus souvent possible. On peut jouer contre un adversaire, mais on joue surtout contre le parcours. On tente de le dompter. Devant ma planche, je joue contre l’univers de Jacobs. À propos de sport, vous êtes très attentif au corps de vos personnages, morphologie et musculature… J’ai longtemps entamé ma journée de travail par un échauffement : le cro- quis d’un cheval. De tête, sans modèle. Oui, j’aime l’anatomie, humaine et animale. Un goût qui ne doit rien à mes – brèves – tudes de méecine,é d mais plus au métier de mon père, vétérinaire rural, et à mon attirance pour l’athlétisme. Jeune, jerêvais de briller au saut en hauteur et au javelot. Passons ! Aux Beaux-Arts, j’ai accumulé les études d’athlètes et de guer- riers antiques, que je ne montre pas car elles sont immondes. Aujourd’hui, comme pour mon croquis d’échauffement, je dessine Louise, Ariane ou l’une de mes héroïnes, sans consulter mes travaux antérieurs. Ces personnes, je les porte en moi. Elles échappent à la documentation, dont je suis par ailleurs très friand.J’adore parcourir les toiles, les estampes et y découvrir un élément de mobilier, un modèle de chaussure, un détail d’architecture qui enrichiront mes BD historiques. Cette chasse est la même lorsque je travaille sur un Blake et Mortimer. Pour revenir à mes héroïnes, je me suis tout de même constitué des petits recueils de croquis, face, profil, expres- sions… Des antisèches, au cas où ! Et quand je crayonne sans but défini, je retombe de moi-même surLouise ou Ariane. Pour leur échapper, il faut que je me fixe un autre modèle, un tableau, un dessin, une photo de journal…