DU CÔTÉ DE LA RECHERCHE FAVORISER L’INCLUSION SOCIALE PAR PHOTOVOICE Lyne Douville, Ph. D. Ps., ps.éd., professeure au département de psychoéducation, UQTR, chercheure au CEIDEF, Myriam Emery, M.Sc., intervenante sociocommunautaire à l’Office municipal d’habitationet Alexa Dubé, M.Sc., intervenante au Centre Jeunesse de Montréal Au Québec, l’itinérance est un phénomène de plus occupé de l’aspect technique. Pour commencer, l’ensemble en plus courant, non seulement dans les centres des participants a dû en arriver à une décision concernant la urbains, mais aussi en région. La combinaison problématique ciblée. Ils se sont entendus pour travailler sur la de facteurs structuraux, tels que les conditions pauvreté. Ensuite, chacun a dû prendre plusieurs photographies, économiques, les situations d’emploi, la disponibilité et l’accès créer un montage ou bien en sélectionner une, avant d’en faire aux logements, les compressions dans les programmes sociaux, valoir la signification sous forme de narration. L’étape suivante l’embourgeoisement des quartiers centraux, la judiciarisation fut de réaliser les affiches présentant les photos et les textes. Puis additionnée à des facteurs individuels tels que les vulnérabilités le projet s’est clôturé par des expositions à divers endroits déter- personnelles et les expériences avec les organisations publiques, minés par ceux-ci. explique cet accroissement (Farinas, 2016). Tous les acteurs La cueillette de données s’est faite à partir d’entretiens semi- concernés par ce phénomène s’entendent sur l’importance d’une structurés réalisés avec trois participants et deux accompagnateurs. mobilisation visant à prévenir ou à réduire l’itinérance face à Pour ce qui est du traitement des données, une analyse qualita- l’aggravation et à la complexification des problèmes associés à tive thématique a été faite, telle que décrite par Clarke et Braun l’itinérance (Gouvernement du Québec, 2014). Pour les jeunes de (2013) pour repérer les thèmes émergents. Trois thèmes en sont la rue, cette réalité fait en sorte que l’insertion sociale est difficile.ressortis : le processus introspectif, les habiletés développées dans Toutefois, on dénote que l’accomplissement personnel et la par- le cadre du projet et la perception de la réalité des participants ticipation sociale sont non seulement des facteurs de protection, stigmatisée par la société. Cette démarche a ensuite été prise en mais également un point d’ancrage à l’insertion en société compte selon le point de vue des accompagnateurs. (Karabanow et Clement, 2004). Avec ces jeunes, l’une des Unanimement, le projet Photovoice a entraîné chez les approches utilisées pour justement contrer l’exclusion et la participants un travail de réflexion, d’introspection et d’expression rupture sociale est la valorisation des compétences (Levac, de soi. Cet aspect s’est actualisé par le choix des photographies et Labelle et Refuge des jeunes de Montréal, 2007; Parazelli, 2002). les prises de conscience associées à un contenu à forte intensité Cela s’apparente à l’empowerment que Zimmerman et Rappaport émotive. Cela a permis aux participants de percevoir des éléments (1988) décrivent comme les interventions visant à arrimer les de cette problématique, de se reconnaître dans certaines facettes forces du jeune avec des comportements proactifs. et de proposer des solutions afin de contrer la pauvreté. C’est C’est dans cette perspective que des chercheures de donc toute cette démarche réflexive qui aura permis aux jeunes l’Université du Québec à Trois-Rivières se sont associées avec de développer des compétences. un organisme en travail de rue de la région, Point de Rue. Les Pour la réussite du projet, des règles de fonctionnement objectifs étaient de prendre en note la perception des jeunes claires concernant l’assiduité, la participation et l’éthique ont dû marginaux sur leurs préoccupations et de susciter un dialogue être émises. Les participants ont ainsi mis en pratique des prérequis critique avec la société. importants à l’insertion socioprofessionnelle. De plus, une Pour atteindre ces buts, nous avons utilisé la méthode amélioration des habiletés sociales, notamment sur le plan Photovoice qui s’insère dans une démarche de recherche de la communication, a été constatée. Le travail d’équipe, la qualitative, participative et visuelle (Mitchell, 2011). Ainsi, cette persévérance et l’estime de soi ont aussi été développés. L’un méthode vise à faire réfléchir sur les forces de notre société et à en d’entre eux a même été appelé à travailler sur sa consommation souligner certaines lacunes en utilisant comme voie d’expression de drogues afin d’être disposé et apte à poursuivre conformément la photographie ainsi que l’exploration verbale des images prises. les étapes du projet. Enfin, les participants ont eu la chance de Ce médium permet donc de susciter une discussion autour s’exprimer quant à leur vécu, concernant la problématique de la d’opinions émergentes. L’expression des photographies fournit pauvreté. Avoir abordé cette problématique par leurs affiches a donc une tribune afin d’attirer l’attention des instances gouver- été relevé unanimement comme étant une source de gratification nementales et politiques (Dahan, Dick, Moll, Salwach, Sherman, (en matière de problèmes et de solutions). Vengris et Selman, 2007; Sutton-Brown, 2014). De leur côté, les accompagnateurs ont affirmé que cette Dans la présente étude, sept jeunes de la rue, âgés de 25 à méthode a inculqué le dépassement de soi aux jeunes qui ont été 32 ans, fréquentant Point de Rue ont participé. Le groupe a été confrontés à plusieurs défis. D’ailleurs, la participation au projet accompagné par une intervenante et un infographiste qui s’est Photovoice aurait valu aux participants la fierté, la reconnaissance 30 LA PRATIQUE EN MOUVEMENT MARS 2019