DOSSIER ESPACE TRANSITION : UNE RÉPONSE CRÉATIVE, COLLABORATIVE ET ADAPTÉE AUX BESOINS DES ADOLESCENTS ET DES JEUNES ADULTES PRÉSENTANT DES TROUBLES MENTAUX Kim Archambault, Ph. D., ps.éd., Centre de recherche du CHU Ste-Justine, Julie Béland, B.Sc., École de santé publique de l’Université de Montréal, Sylvie Gauthier, ps.éd. etPatricia Garel, MD, psychiatre, Département de psychiatrie du CHU Ste-Justine1 La transition de l’adolescence vers l’âge adulte estconçue comme une période singulièrement fragili-sante pour les jeunes souffrant de troubles mentaux,dont les habiletés nécessaires à l’exploration, à laLa création d’un tel contexte repose sur la mise en place de com-posantes transversales soigneusement réfléchies, en cohérenceavec les principes des interventions propices au rétablissementet les valeurs et orientations du Plan d’action en santé mentale prise de décisions, à l’intégration de nouveaux rôles et à la 2015-2020 du ministère de la Santé et des Services sociaux. transformation harmonieuse des relations affectives sont souvent affectées par les symptômes psychiatriques et la fréquentation Miser sur l’expérience collective et créative intensive ou prolongée des services de soins (Patel et al., 2007; Tout d’abord, l’expérience collective est centrale aux programmes Vander Stoep, Beresford, Weiss, McKnight, Mari Cauce et Cohen, ET, qui reposent sur le postulat que l’intégration sociale est un 2000). De surcroît, les adolescents et les jeunes adultes seraient moteur essentiel du mieux-être, de l’adaptation et de la déstigma- moins enclins que les individus plus âgés à chercher de l’aide tisation. Ainsi, tous les programmes ETutilisent la modalité de auprès de professionnels de la santé lorsqu’ils éprouvent de la groupe (de 10 à 15 jeunes par groupe) et impliquent la réalisation détresse psychologique, notamment à cause de leur exposition d’un projet collectif, propice aux interactions collaboratives. et de leur sensibilité accrues à la stigmatisation (Lamb, 2009). L’hétérogénéité des groupes est l’une des composantes les plus ori- Ces quelques constats mettent en lumière les réalités et enjeux ginales des programmes ET, qui ciblent des jeunes de 14 à 25 ans, développementaux spécifiques des adolescents et des jeunes présentant des troubles mentaux variés, et incluent toujours une adultes vivant avec des troubles mentaux et la nécessité de déve- proportion de jeunes ne présentant pas de problème de santé lopper des services qui en tiennent compte (Gibbs, Fergusson mentale ou d’adaptation significatif, la mise en contact directe et Horwood, 2010; Kutcher, 2007; McGorry, 2007; Vander Stoep et significative de personnes présentant et ne présentant pas de et al., 2000). troubles mentaux étant l’une des stratégies reconnues comme les plus probantes pour diminuer la stigmatisation associée Le projet Espace Transition à la maladie mentale (Thornicroft et al., 2016). Autre aspect Espace Transition (ET) est un projet d’innovation du CHU innovant, les programmes ET sont généralement animés par Sainte-Justine (CHUSJ) ayant été développé en réponse au criant des artistes non-cliniciens, spécialistes du médium créatif besoin de services adaptés voués à soutenir la réadaptation mis de l’avant, et livrés hors des établissements de soins dans le psychosociale des adolescents et des jeunes adultes traités en but d’offrir aux jeunes un contexte normalisant et stimulant, raison d’un trouble mental. Fruit d’une collaboration entre une qui tienne compte de leur sensibilité particulière à la stigmatisa- psychiatre et une psychoéducatrice de grande expérience du tion et de leur désir de se dissocier des structures de soins CHUSJ, des patients et leurs familles, des artistes engagés et des conventionnelles. Néanmoins, une grande attention est vouée chercheurs universitaires, le projet a vu le jour en 2009 et s’est à la mise en place d’un environnement sécuritaire, favorable à depuis grandement développé. Il regroupe aujourd’hui cinq l’exploration et à l’expérimentation malgré la vulnérabilité programmes réguliers misant tous sur l’attrait et le potentiel conférée par la maladie. Ainsi, chaque programme est encadré bénéfique des arts pour favoriser le mieux-être et l’adaptation par un accompagnateur clinique compétent, présent en tout psychosociale des jeunes présentant des troubles mentaux et temps, et supervisé par des psychiatres ou professionnels réduire leur stigmatisation. Pour ce faire, les programmes pro- d’expérience. Enfin, d’une durée habituelle de 12 à 15 semaines, posent aux participants des ateliers hebdomadaires d’exploration, les programmes sont tous orientés vers la création d’une œuvre d’apprentissage et de création mettant de l’avant divers médiums collective et culminent par le partage de cette réalisation avec artistiques (arts dramatiques et circassiens, musique, beaux-arts des parents, amis, intervenants et membres de la communauté et arts lyriques) et leur offrant un contexte normalisant, sécuri- (p. ex., spectacle, concert, vernissage). taire et stimulant favorable au développement des habiletés La participation aux programmes ET est entièrementgratuite, sociales et personnelles et à l’expérience de succès et de gratification.ceux-ci étant principalement financés par des dons privés et livrés 1Collaborateurs : Jean-François Gauthier et Miguel Salmon Rivera, psychoéducateurs équipe santé mentale jeunesse, CISSS de la Montérégie-Ouest; Jessica Martin, psychoéducatrice, CISSS de Laval, et Maxime Leblanc, psychoéducateur et coordonnateur clinique Santé mentale jeunesse, CISSS de la Montérégie-Ouest. 16 LA PRATIQUE EN MOUVEMENT MARS 2019