( TÉMOIGNAGES) DERRIÈRE LA PORTE melina robertmichon- « On ressent les émotions de tout le monde » z « C’est vrai que beaucoup de choses se jouent là. Disons déjà que tu sais quand tu rentres, mais tu ne sais jamais quand tu sors. Parfois, tu passes deux heures en chambre d’appel parce qu’il y a eu un orage, comme à Berlin, en 2009… Toutes les demi-heures, on te dit que ça va être ton tour, mais non. En tout cas, c’est un moment particulier, parce qu’on est en face à face avec les adversaires, et qu’on ressent les émotions de tout le monde. Certains d’ailleurs jouent de ça, en poussant ton sac, en s’asseyant vite fait là où tu voulais t’installer… Tu ne t’attends pas toujours à ça. Après, tout dépend des tempéraments. vanessaboslak Certains parlent fort, d’autres sont plus effacés.Ce qui est difficile à gérer, en grands championnats, « Comme un instinct animal » c’est de devoir s’échauffer avant, puis d’aller dans la chambre d’appel, et de devoir s’échauffer à nouveau après. Il faut s’adapter sans cesse, et ne pas s’enflam- z « En chambre d’appel, j’ai toujours été centrée sur mon truc, mais mer. » on assiste quand même à quelques scènes d’intimidation. Certains le font exprès, d’autres pas forcément… C’est un moment où l’ego est très important. Certains essaient d’accrocher votre regard, de vous regarder dans les yeux. Celui qui arrive en chambre d’appel en pleine confiance, un truc émane de lui. Je me souviens d’Isinbaeva, surtout quand on était jeunes : dans la démarche, dans la façon de se mouvoir, elle dégageait ça. Aux Europe d’Helsinki, en 2012, j’ai su dans la chambre d’appel que la Tchèque (Jirina Ptacnikova) allait gagner. C’est bête, mais il y avait un truc qui se dégageait d’elle, une sorte de force. Et elle ne cherchait même pas à le montrer, mais les autres le sentaient, c’était comme une sorte d’instinct animal. Je pense que c’est pour ça qu’Isinbaeva ne regardait personne, qu’elle se mettait sa casquette ou sa serviette sur la tête : parce qu’il y a un moment où un adversaire peut ‘‘tuer’’ les autres. Si tu accroches un regard intense, que ça te perturbe, ça peut te faire décrocher de ta compétition. En 2012, justement, j’étais sortie de la compétition parce que j’avais perçu cela. Je n’étais pas assez centrée sur moi. À contrario, on peut prendre ça avec beaucoup de recul, dans certaines circonstances particulières. À Istanbul (aux Mondiaux en salle de 2012, dont elle prendra la médaille d’argent avec 4,70 m, NDLR), j’étais tellement contente de refaire une compétition internationale, de me retrouver là avec ces adversaires, que ça ma enlevé une partie du stress et de la pression. Parfois, on prend les choses trop au sérieux et on oublie pourquoi on est là… Mais le mieux, c’était quand même lors du DécaNation à Charléty, en 2007, après les Mondiaux d’Osaka. Je ne m’étais pas réveillée le matin, et je me retrouvais super à la bourre… Je saute sur la moto, j’arrive devant Charléty, je me gare et j’entre dans le stade. Là, on me dit que la chambre d’appel de la perche est terminée ! Franchement, ailleurs qu’en France, je me serais fait virer de la compétition. Là, je me pointe sur le stade, je fais un tour, je prends une perche, et je gagne avec 4,60 m (4,51 m, en fait, NDLR) ! Comme quoi, avec un petit coup de stress… » 74 ATHLÉTISME MAGAZINE AVRIL-MAI 2019