La scène avait eu son petit écho dans le monde del’athlétisme, en particulier dans le Landernau dudemi-fond. Nous sommes en 2010, à Barcelone,lors d’un été européen fructueux et baigné d’un bonheur collectif pour les Bleus. Là, lors de la finale du 3000 m steeple, le principe avait rapidement été compris par les observateurs : Mahiedine Mekhissi et Bob Tahri, les deux grandissimes favoris, allaient se relayer pour mettre l’adversité à distance et s’assurer les deux premières places. Dans un doublé historique, Mekhissi devançait finalement Tahri au sprint. Un scénario pas si fréquent chez les cou- reurs, mais qui avait le mérite de mettre en lumière un lieu habituellement tenue à l’ombre : la chambre d’appel. Un espace à l’écart des yeux et du bruit, inconnu des observateurs, là où les athlètes sont confinés ensemble pendant trente minutes, une heure, davantage parfois, avant d’entrer en piste. Quelques années plus tard, c’est le Rémois qui avait révélé les coulisses de l’entente. « Bob était au sommet de sa carrière, et moi, je suis alors un jeune qui a gagné deux ans plus tôt une médaille auxJeux (deuxième à Pékin, NDLR). On a les deux meilleurs steepleurs européens de tous les temps face à face. Il faut que la course soit belle et spectaculaire, et ça va être le cas. Dans la deuxième chambre d’appel, on se regarde. Je ne sais pas pourquoi mais je lui dis : ‘‘On fait quoi aujourd’hui ? - Tu penses à quoi ? la course s’était jouée là. » Intox des adversaires, regards - Ça serait bien qu’on se débarrasse des autres coureurs pesants, intimidation, concentration, anxiété qui déborde puis qu’on se départage.’’ ou lueur positive qui montre la voie : dans ces moments C’est une proposition à l’instinct, au feeling. On se serre la précis, le destin peut prendre un chemin ou l’autre. « Une main, on se regarde dans les yeux, et c’est fait. » athlète, sur une compétition majeure, m’avait confié être D’autres affaires se sont réglées dans ce huis-clos où se sortie de l’épreuve après avoir été chambrée par des Jamaï- jouent des drames et comédies en plusieurs actes, entre caines dans la chambre, raconte Florence. Or, comme il y des officiels qui vérifient que tout l’attirail des partici- a une routine de l’échauffement, il fautaoirunerutinev o pants correspond bien aux normes, et des sportifs qui, de la performance dans la chambred’appel. Cel peaut être privés de communication avec l’extérieur, attendent, dix minutes de respiration abdominale,de l n-’imagerie me attendent, attendent d’en découdre. « Les athlètes qui tale pour se remémorer des succès passés… » La règle de viennent me voir m’en parlent énormément. Et si ça n’est pas base, témoignent les principaux concernés : éviter les le cas, je suis souvent amenée à évoquer le interactions potentiellement néfastes avec sujet avec eux… » Florence Delerue est « Des nageurs comme Yannick Agnel les adversaires, d’autant plus quand ceux- psychologue du sport et préparatrice ci savent en jouer pour vous déstabiliser. mentale, enseignante à l’Université de ou Ian Thorpe ont déjà expliqué D’ailleurs, « on s’aperçoit que plus l’expertise Lille 2. Elle accompagne notamment les qu’ils savaient, dès la chambre d’appel,d’un athlète est importante et plus l’interaction équipes de France jeunes depuis dix- qu’il aura avec les autres sera faible », observe huit mois. « En préparation mentale, une qui allait gagner, ou encore la psychologue. Prenez la chose à l’envers : demande sur deux est liée à la gestion du que la course s’était jouée là. » moins le concurrent sera expérimenté, et stress. Or, ce dernier est lié à l’inactivité. La plus ces longues minutes risquent de géné- chambre d’appel, c’est un lieu d’attente, FLORENCE DELERUE, PSYCHOLOGUE DU SPORT rer chez lui un stress néfaste. Les anecdotes, donc d’anxiété. » en la matière, foisonnent, les témoignages Lors des Mondiaux juniors de l’an passé qui suivent en livrent quelques-unes. « C’est à Tampere, la psychologue avait été frappée : « Beaucoup un élément important de la compétition, mais qu’on anticipe de jeunes athlètes m’ont dit après leur épreuve : ‘‘Ah, si on trop peu en amont. Un travail de longue haleine, qui ne se avait su, on serait venus te voir avant, pour la chambre règle pas en deux séances. La préparation mentale, en lien d’appel…’’ On est encore un peu en retard dans ce domaine, avec l’entraîneur, c’est anticiper tout ce qui peut l’être, et si on dans l’athlé : on n’anticipe pas assez. Un athlète a beau être ne le peut pas, apprendre à s’adapter. À l’opposé d’un discours plusieurs fois champion de France, il va se retrouver avec la de gourou, elle doit permettre de rendre l’athlète autonome, dixième performance au niveau mondial. Et quand il arrive de savoir gérer des moments comme ceux-là, seul. » face aux autres… » À défaut, l’expérience tient vite lieu d’apprentissage. Et ceux Ce face-à-face débute, justement, dans la fameuse pièce, qui se font avoir une fois au jeu des coups de pression jurent antichambre du stade. Autant dire que la compétition qu’on ne les y prendra plus. Reste souvent des moments, commence à cet instant précis. « Des nageurs comme drôles ou anxiogènes, de rivalité comme de fraternité, Yannick Agnel ou Ian Thorpe ont déjà expliqué qu’ils savaient, clichés forcément à part dans l’album aux souvenirs des dès la chambre d’appel, qui allait gagner, ou encore que athlètes. Ils vous en content ici quelques-uns. WWW.ATHLE.FR 71