17 jeunes ou seniors : faut-il choisir ? (DM). Bien sûr que non, il ne faut pas choisir. Mais il importe en revanche de bien définir les tâches qui sont confiées à chacun. Et il faut surtout bien adapter les conditions de travail et laisser les espaces et les marges de manœuvre nécessaires aux équipes pour qu’elles puissent discuter, s’auto-organiser et adopter les arrangements nécessaires. Et c’est un excellent moyen de mixer les regards et de disposer de personnes ayant suivi leurs études et acquis leurs savoir-faire à des époques différentes. (JM). Le risque est d’avoir un effet mode sur les générations. En fonction de l’actualité, on navigue entre les jeunes et les seniors. Il faudrait réussir à rendre le sujet de l’intergénérationnel intemporel. Finalement, là où cela marche le mieux, c’est dans les entreprises internationales, où la diversité fait déjà partie des modes de fonctionnement dans l’organisation. mais alors, si l’on vous suit, c’est plus une question d’époque que d’âge ? (DM). Oui. J’aime bien prendre l’exemple de l’équilibre vie pro/ vie perso. Il est devenu un critère clé, mais pas parce que les jeunes, ou les seniors d’ailleurs, ne voudraient pas travailler ! Il faut plutôt regarder du côté de l’emploi féminin qui est en forte hausse pour comprendre cette évolution. Alors que dans les années 70, les femmes étaient en quelque sorte des « réservoirs de temps », qui permettaient aux hommes d’assurer de très longues heures de travail, leur forte présence dans l’emploi a changé la donne. Désormais, les jeunes femmes et les jeunes hommes aspirent à être investis à la fois dans la vie professionnelle et la vie personnelle. et comment manager l’intergénérationnel ? (JM) Déjà, rappelons aux managers que personne n’est contre le travail. Tout le monde en a besoin, aussi bien sur le plan financier que pour son épanouissement. On a tendance à faire des raccourcis et à penser que, dès qu’il y a un problème, c’est à cause des conflits entre les générations. Mais c’est en fait bien souvent une problématique de management. On doit chercher à créer une forme d’appartenance, autrement que par le critère de l’âge. Il faut des moments de vie ensemble. (DM) C’est très paradoxal. On a d’un côté le souhait de ne pas être mis dans une case, d’être considéré de façon quasi anonyme. Et en parallèle, on a une demande d’individualisation. Le collaborateur ne veut pas être traité parce que jeune, parce que vieux, mais pour sa personne, son individualité. Je me souviens d’une salariée qui en entretien nous avait dit : « comment voulez-vous que mon manager me reconnaisse puisqu’il ne connaît pas mon travail ? » Il faut donc des managers qui connaissent la réalité des métiers, le terrain. (JM). Je crois aussi que l’intergénérationnel est un bon prétexte pour faire réfléchir les collaborateurs ensemble. C’est un sujet de la vie de tous les jours. l’intergénérationnel se joue-t-il dès l’embauche ? (DM). Bien sûr. Il faut à la fois tenir compte des nouvelles aspirations dont on vient de parler, des capacités de chacun, qui ne sont pas nécessairement liées à l’âge, et des complémentarités qui doivent s’organiser au sein des équipes. Avoir des équipes mixtes du point de vue de l’âge et du genre permet des points de vue diversifiés et des transmissions de savoir-faire dans plusieurs dimensions. (JM). Je pense qu’un levier de discours, et peut-être même l’un des seuls, est celui de la performance. La performance s’améliore avec la diversité, l’intergénérationnel. On a encore à convaincre les employeurs là-dessus. Beaucoup parlent de diversité sur leur site carrière, mais dans les faits, ce n’est pas si évident. Je me souviens encore d’une jeune salariée qui s’interrogeait pour savoir « où étaient les vieux » ! Sur le recrutement plus spécifiquement, créer des expériences plus fluides, plus incarnées me semble intéressant. Par exemple, un format qui marche très bien est d’organiser des journées de recrutement. C’est ludique, les employeurs peuvent s’ouvrir à des profils plus originaux et les talents ont une réponse immédiate. L’expérience est moins formelle, elle impressionne moins. Contrairement à ce que l’on pense, les jeunes ont besoin d’être rassurés et de se projeter. et enfin, que dire du rôle de l’État ? (DM) Ce qui s’est passé dans les pays du Nord est très intéressant. L’État et les entreprises ont travaillé main dans la main. L’État, les partenaires sociaux et les entreprises ont conçu et mis en place une politique ambitieuse, favorisant l’autonomie, la prévention des problèmes de santé, l’amélioration des conditions de travail. En Suède, le taux d’emploi des seniors est de 76 % (contre 56 % en France). Par ailleurs, les seniors ont été accompagnés dans des plans de formation ambitieux. (JM). L’État doit prendre ses responsabilités. Mais les entreprises aussi. Je pense que c’est un sujet qui se réfléchit ensemble. un mot pour conclure ? (JM) Pour résumer, je vois trois points. Le premier, créer des espaces de débat, de discussion pour impliquer les salariés et faire ensemble. Le deuxième, il faut d’ores et déjà créer de l’intergénérationnel – ne serait-ce que physiquement dans les entreprises pour casser les barrières. Le troisième, faire bouger les entreprises par l’angle de la performance et mesurer, quantifier l’avant/après intergénérationnel. (DM) Il faut absolument cesser d’apporter du crédit à ces stéréotypes péjoratifs qui ne reposent sur rien. Non, les jeunes ne sont pas paresseux et déloyaux. Non, les plus âgés ne sont pas anti-technologie. En même temps, il faut comprendre d’où viennent ces stéréotypes. C’est de plus en plus compliqué pour les jeunes de s’installer durablement sur le marché du travail. Quant aux plus âgés, trop souvent, les entreprises ne veulent pas prendre le temps d’adapter les conditions de travail des équipes en place pour leur permettre de s’acclimater au changement. Il faut rompre avec le « modèle de la hâte », bien décrit par mes collègues Serge Volkoff et Corinne Godard dans Le travail pressé.