16 L’une est philosophe et sociologue du travail, l’autre dirige Youth Forever, association qui promeut la création d’un pacte intergénérationnel dans les organisations. Dominique Méda et Jasmine Manet ont beaucoup à partager. Dans cet entretien, elles ont pu témoigner des enjeux qui traversent les époques quant aux jeunes, aux seniors et à l’intergénérationnel. Retour sur cet échange qui nous rappelle définitivement qu’en entreprise, il n’y a pas d’âge. avant d’aller plus loin, peut-on revenir sur les définitions des concepts de “jeune” et de “senior” ? Dominique Méda (DM). Il faut commencer en rappelant qu’il n’y a pas de définition consensuelle de ce qu’est un « jeune » ou un « senior ». Selon l’Insee, les jeunes sont les personnes âgées de 18 à 29 ans et les seniors sont celles qui ont plus de 65 ans. Mais il y a beaucoup d’autres conventions. Ce qui importe ce sont les conditions et la nature du travail, si ce que vous faites est intéressant, si vos capacités sont utilisées, si votre travail a du sens, si vous êtes reconnu…. Mais j’insiste sur un point : les conditions de travail, objectives, et leurs effets, physiques ou psychologiques, sont déterminantes. le travail peut être un destructeur ou un opérateur de santé, donc un accélérateur de vieillissement ou un régénérateur. Jasmine Manet (JM). C’est tout le paradoxe de penser en catégories d’âge. En raisonnant ainsi, on met, volontairement ou non, les gens dans des cases et on oppose les générations. Nous, nous préférons parler d’expérience. D’autant qu’il y a des facteurs plus discriminants que l’âge pour penser son rapport au travail et à l’entreprise comme les genres, les origines, les CSP, les niveaux d’études. (DM). Je suis totalement alignée sur ce point. Cela me fait d’ailleurs penser à la phrase de Bourdieu : « la jeunesse n’est qu’un mot ». Il y a plus de différences à l’intérieur d’une génération, par exemple entre les diplômés et les non-diplômés qu’entre les générations. On ne peut pas traiter uniformément une génération, il y a des jeunesses. (JM) C’est très juste. À force de véhiculer des préjugés, on finit par créer une appropriation de ce qu’on dit sur ces catégories. Il y a une étude dans laquelle on demande aux jeunes quel serait leur animal totem. Et devinez celui qui ressort ? Le paresseux ! Comme s’ils finissaient par intégrer cette paresse que la société leur attribue. les jeunes et les seniors d’aujourd’hui sont-ils si différents de ceux d’hier ? (JM) Je crois qu’on a tendance à confondre « être jeune » et « être jeune en 2024 ». Il y a des comportements qui sont plus liés au manque d’expérience qu’à la génération en tant que telle. (DM) En revanche, je pense que les bouleversements à l’intérieur des organisations ont une influence. Par exemple, les changements technologiques peuvent précipiter l’impression de vieillissement. Comme tout change, tout s’accélère, on peut rapidement se sentir dépassé si le management n’est pas attentif. (JM). Cela me rappelle également qu’on a toujours quelqu’un pour nous parler d’un proche, jeune ou vieux, et de faire de son cas une généralité. Cela n’aide pas à se détacher des clichés associés à l’âge. (DM) On trouve à peu près les mêmes stéréotypes et les mêmes rapports au travail hier et aujourd’hui. Dans nos travaux de recherche, nous avons étudié le rapport au travail depuis les années 90 en Europe. Il en ressort que le travail en France a eu, et a toujours, une place très importante, et ce, quelle que soit la génération. Mais les jeunes sont toujours un peu plus attachés au travail que les plus âgés, et considèrent, encore plus qu’eux, que le travail est une source d’épanouissement et de fierté. entretien croisé. Dominique Méda et Jasmine Manetdeux visages pour dire qu’il n’y a pas d’âge. dossier spécial