Entretiens scroll 2023 est la première année complète depuis la réouverture du musée. Quel est votre bilan ? Séverine Lepape Nous avons pu pleinement mesurer ce qu’est le nouveau musée de Cluny tant au niveau de la fréquentation, des publics, de la programmation que du fonctionnement interne avec les équipes. Les résultats de l’année sont très satisfaisants puisque le musée a accueilli 273 894 visiteurs, parmi lesquels 52 % de visiteurs payants et environ un quart de moins de 26 ans. Les dimanches gratuits ont été honorés en moyenne de 1 900 visiteurs, la Nuit des musées de 2 463 et les Journées du patrimoine de 2 625. Le succès du nouveau parcours se confirme et nous en sommes très heureux. Pour autant, nous n’avons pas pour habitude de nous reposer sur nos lauriers et 2023 a aussi été le moment d’une réflexion renouvelée avec l’équipe scientifique pour faire vivre cette scénographie, qu’il s’agisse de la rotation des collections, lors de prêts ou de nouvelles acquisitions. Sur ce dernier point, il faut souligner l’entrée officielle dans nos col- lections, en janvier 2023, du Christ crucifié de Giovanni Pisano. Nous avons organisé une soirée de remerciements pour les donateurs, qui ont été nombreux, en partie grâce à la campagne de souscription me- née par la Société des Amis du musée. Cette œuvre insigne, déclarée d’intérêt patrimonial majeur, a trouvé sa place dans la salle 11 consa- crée à l’art italien des XIII e et XIV e siècles. Au total, huit œuvres ont été acquises en 2023, par achat ou don – c’est le cas d’un feuillet en- luminé qui sera présenté dans l’exposition consacrée à Notre-Dame à l’automne 2024, et d’un Baiser de paix provenant de la collection Alex Brunet, lui-même ancien administrateur de la Société des Amis du musée. Et nous sommes à nouveau mobilisés pour l’acquisition d’une œuvre que nous avons fait classer trésor national en novembre 2023. Le musée a trente mois (mars 2026) pour réunir les fonds, ce qui va faire l’objet de nos futures campagnes. Tout cela ne peut se faire sans l’implication des services. À ce titre, je tiens à saluer ici les services de la régie des œuvres et de la conser- vation pour avoir réalisé en un temps record le déménagement de deux réserves extérieures vers une seule réserve au Bourget. Ce sont 180 ensembles d’œuvres qui ont été rapatriés et réinstallés, avec nos fonds propres. De même, grâce à un travail de groupe, mené par Lora Houssaye et Marie-France Cocheteux, le musée est désormais doté d’un plan de sauvegarde des collections, ce dont nous nous félicitons. Et en ce qui concerne la programmation culturelle ? La nouvelle programmation mise en place au moment de la ré- ouverture s’est déployée tout au long de l’année avec beaucoup de concerts et de conférences, notamment la journée d’intervention de Mi- chel Pastoureau qui a fait salle comble. Nous avons eu à cœur de propo- ser des conférences qui soient en lien avec l’actualité scientifique, sur des grands sujets en histoire de l’art, mais aussi en littérature et en histoire. Un triptyque que je souhaite maintenir dans son équilibre. Nous avons ainsi proposé une thématique autour du Moyen Âge dans ses confins géographiques, par exemple en Hongrie, en Bohème ou en Scandinavie. Les nocturnes, autre nouveauté mise en place à l’occasion de la ré- ouverture, prennent leur place peu à peu. Le public parisien commence à bien identifier ce créneau d’autant que nous avons pris soin, autant que possible, de lui associer des conférences ou des concerts. Nous nous réjouissons également de voir parmi les différents publics une part de jeunes de plus en plus grande. La programmation dans son ensemble repose sur un socle solide et participe pleinement au rayonnement du musée, y compris grâce à la médiation sensible dont le succès se confirme. Je tiens aussi à souligner l’engagement du musée dans le cadre d’un jumelage culturel avec la Ville de Sartrouville, soutenu par la préfecture de la région Île-de-France. Ce jumelage, qui a débuté début 2023 et se terminera fin 2024, porte sur un quartier prioritaire de la ville dont les habitants sont considérés, à juste titre, comme éloignés de la culture. Le public visé se compose à la fois de familles et de groupes scolaires. Nous avons eu l’occasion d’expérimenter de nombreux dispositifs, notamment des ateliers philosophiques sur l’identité, l’altérité, etc., autant de thèmes qu’une institution est en devoir de porter dans la pé- riode que nous vivons. Un parcours miroir avec l’IMA a permis une mise en dialogue de nos collections à travers la figure de l’autre et les terri- toires de l’ailleurs entre Orient et Occident. Je suis très fière de ce projet qui nous oblige à être proactifs dans une construction avec des acteurs locaux (écoles, associations, représentants politiques…). Nous es- pérons vivement poursuivre cette action mais il faudra sécuriser les fonds et le cadre de convention. Quelle place les expositions occupent-elles dans le nouveau musée ? Une place toujours importante. 2023 a été marquée par l’ouver- ture d’une exposition à l’automne intitulée Voyage dans le cristal , por- tée par Isabelle Bardiès-Fronty et Stéphane Pennec. Il s’agissait d’ex- plorer la place de ce matériau depuis les origines jusqu’à nos jours, avec au centre la question de son usage au Moyen Âge, et un dia- logue avec un artiste contemporain en fin de parcours. Une approche particulièrement intéressante qui a beaucoup plu au public. Parallè- lement, l’exposition sur les acquisitions récentes du musée a suscité beaucoup d’éloges de la part des visiteurs, ce qui justifie le fait qu’elle se soit prolongée jusqu’en juin 2023. L’année a été aussi consacrée à la préparation des quatre expositions prévues en 2024, dont celle dédiée aux arts en France sous Charles VII dans laquelle j’ai souhaité m’impliquer scientifiquement en assurant le commissariat général, appuyée par Sophie Lagabrielle, conservatrice générale au musée, et deux autres commissaires, Mathieu Deldicque, conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée Condé de Chantilly, et Maxence Hermant, conservateur en chef à la Bibliothèque nationale de France au département des manuscrits. Une exposition construite en col- laboration avec la BnF autour de très beaux manuscrits et d’autres magnifiques objets, dont des prêts tout à fait remarquables : une peinture de Fouquet, le dais de Charles VII et le triptyque reconsti- tué exceptionnellement de la Passion et Résurrection du Christ de Jean d’Ypres. En 2023, nous avons rédigé le catalogue et élaboré la scénogra- phie. Nous avons pu également monter en un temps record, moins d’un an, et j’en suis très reconnaissante aux équipes et en particulier à Chris- tine Descatoire, l’exposition Trésor d’Oignies, un petit bijou, avec une qua- rantaine d’œuvres issues de ce trésor qui n’était jamais sorti de Belgique dans sa quasi-totalité. Cela a été rendu possible grâce à un partenariat de grande qualité avec le musée de Namur et la fondation du roi Baudoin, ainsi qu’à l’engagement fort des équipes du musée de Cluny, qui ne se trouve pas ailleurs. À l’automne, nous avons aussi appris que nous pourrions bénéficier d’éléments du jubé, mis au jour par les découvertes qui ont fait suite à l’incendie de Notre-Dame. Ils seront présentés lors de l’exposition qui aura lieu au musée, à l’automne 2024, consacrée à la cathédrale. Une réu- nion en septembre avec tous les acteurs concernés (Inrap, Drac, Service régional d’archéologie, SMF…) a permis de nous mettre d’accord sur les modalités de présentation et l’approche scientifique. Notre ambi- tion est de donner à voir une exposition qui soit à la hauteur de la confiance que nos partenaires nous accordent. Enfin, l’année 2023 a été aussi celle de l’adhésion du musée à un dispositif récemment mis en place par le ministère de la Culture, en relation avec le CNRS, consistant en l’accueil d’un enseignant-cher- cheur, Frédéric Tixier, pendant un an. Co-commissaire, avec Christine Descatoire, d’une exposition qui aura lieu en 2025, Le Moyen Âge du 19 e siècle , il a pu ainsi travailler au plus près du sujet. Son regard d’universitaire et ses usages en matière de coopération scientifique sont un enrichissement pour le musée, qui lui apporte en retour une connaissance qu’il n’a pas forcément des autres missions que les conservateurs peuvent mener : récolement, gestion des collections, prêts, restaurations, etc. Une expérience très positive qui permet d’avoir un relais amical dans les universités et qui participe du rayon- nement scientifique. Quelles actions de mécénat ont été menées en 2023 ? Il faut d’abord souligner que nous avons des mécènes extraor- dinaires. Ils sont là, bien présents, et se sont engagés avant même de savoir ce que deviendrait le musée en pleine transformation. La rénovation ayant tenu ses promesses, ils ont été convaincus de nous accompagner encore. Un nouveau partenaire, Van Cleef & Arpels, est venu nous soutenir pour l’exposition Voyage dans le cristal , sans lequel elle n’aurait pas pu être si complète et si belle. Un partenariat décisif et de grande qualité. Autre volet intéressant, la Villa Albertine, et ses représentants Gaëtan Bruel et François Bridey, m’ont invitée à venir parler du musée à New York en juin, dans le cadre d’une série de conférences faisant dialoguer des directrices de musées de chaque côté de l’Atlan- tique. J’ai pu échanger avec Julia Marciari-Alexander, directrice du Walters Art Museum de Baltimore et rencontrer plusieurs mé- cènes autour de Notre-Dame, un sujet qui mobilise beaucoup les Américains francophiles. En parallèle, nous avons mis en place un partenariat avec le Friends of Notre-Dame, une fondation dirigée par Michel Picaud, dont le projet est de faire lever des fonds auprès de mécènes américains pour la restauration de Notre-Dame et qui a accepté de nous suivre pour soutenir l’exposition consacrée à la cathédrale que nous présenterons au musée à l’automne 2024. Enfin, d’autres partenariats sont en cours de discussion. L’année 2023 marque un mouvement important que nous devons accom- pagner et amplifier d’autant qu’il y a encore beaucoup à accomplir. Ainsi, le musée est toujours pleinement engagé dans la bonne conservation de ses bâtiments. L’opération de rénovation que nous avons connue n’était qu’une phase d’un schéma directeur annuel de travaux réactualisé avec notre nouvelle architecte en chef des Monu- ments historiques et négocié avec le ministère. Il est impératif de le poursuivre. Clos et couvert ont été exclus de la précédente rénova- tion. Or, alors que nous vivons une crise climatique sans précédent, la réfection des toitures et des huisseries du musée doit constituer une priorité. De même, nous avançons sur la rénovation du jardin. Nous espérons pouvoir vous en dire plus dans le rapport annuel de 2024.