LE MONDE DE L’ART I PORTRAIT Maurice Renoma, de fil en aiguille Styliste emblématique de l’époque yéyé, ce fils de tailleur a habillé le petit monde du show-biz sur plus d’un demi-siècle. Beaucoup plus secrète est sa passion pour la photographie et l’art africain. PAR HARRY KAMPIANNE Que de stars et de dandys sontvenus fréquenter le 129 bis, ruede la Pompe, lieu incontournableLanvin plutôt ravi de rencontrer le maestro.Il est même admis qu’être reçu et habillé parl’artiste en personne est un honneur.partir d’un certain moment, il faut apprendreet à trop apprendre, on risque de se figer. Jepréfère être un esprit libre et découvrir. J’agis ayant vu passer la jeunesse dorée Blazers cousus dans du drap militaire, cos- par instinct et me sers beaucoup du hasard.» des quartiers bourgeois comme des personna- tumes cintrés dans des verts, des grenat ou lités aussi diverses que Serge Gainsbourg, des bleu violine, pantalons slim, coupes Un + un = trois Andy Warhol, James Brown, Jacques Dutronc, franches et sculpturales taillées dans des tissusMaurice Renoma a tout juste 20 ans lorsqu’il Nino Ferrer, Bob Dylan ou John Lennon ! inédits… Maurice et Michel Renoma ont achète son premier tableau à l’Hôtel Drouot. Espiègle, l’œil vif et pétillant, Maurice transgressé le dress code masculin, figé depuis «Une peinture très classique du XVII siècle.e Renoma (né en 1940), créateur avec son frère la IV République dans le costume troise Depuis, je n’ai cessé de collectionner : pas seu- Michel de la boutique en 1963, a su toutefois pièces « à la papa ». Ils feront de Serge Gains-lement de la peinture, mais aussi du mobilier, imposer des garde-fous. Peu avare d’anec- bourg l’égérie de leur marque pendant plus du design, de vieux appareils photo…» Son dotes sur le monde du show-biz et de ses de dix ans. Lui qui dit ne pas savoir coudre ni intérêt pour ce dernier domaine commence à icônes glamour, il admet aujourd’hui ne pas dessiner et être dyslexique reste un autodi- le titiller au début des années 1990. «J’ai colla- avoir été «vraiment ami avec la plupart d’en- dacte affirmé, bien que guidé par un père tail- boré avec de grands noms de la photographie tre elles. Je suis de nature assez réservée et neleur et confectionneur, qui lui prêta un coin pour mes nouvelles collections, mais le dia- suis pas forcément au courant lorsqu’elles pas- de son atelier pour créer ses premiers cos- logue était souvent difficile et je n’arrivais pas sent à la boutique. Il est nécessaire d’avoir du tumes en suédine et loden. «La jeunesse bran- toujours à me faire comprendre. Ils vous font recul quand on habille de telles vedettes. chée des années 1960 vivait à cent à l’heure ! une dizaine de bobines pour deux bonnes Beaucoup d'entre elles ont un ego surdimen- C’était une époque propice à la création : j’ar-images… J’ai eu beaucoup plus de plaisir à sionné. Il y a une position de dominant et de rivais à un moment où tout était à faire ou à travailler avec de jeunes talents, qui débu- dominé : vous pouvez très vite être phagocyté refaire.» Le styliste affirme trouver ses idées taient dans le métier avec un regard neuf et et faire partie de leur cour si vous ne mettez dans la rue. C’est aussi un observateur très curieux. Par la suite, j’ai commencé à réaliser pas un peu de distance». inspiré par les codes picturaux et graphiques mes propres photos, les liant de manière expé- en vogue à l’époque – Vasarely, Escher, rimentale à la mode. C’est de ce dialogue que L’instinct et le hasard Picasso, Matisse –, couleurs et formes qu’il vient le concept de «modographie». J’aime L’homme n’en reste pas moins sociable. Pas intègre à ses vêtements. «Si je devais d’ail- bien mélanger les mots et les styles, comme peu fier, il nous montre un selfie, pris quelquesleurs me définir en tant que peintre j’aime mélanger les tissus et leur donner une heures avant notre entretien, avec un Gérard aujourd’hui, je serais un artiste brut. Mais à nouvelle texture.» Ce savant dosage, le créa- N 226 LA GAZETTE DROUOT N° 22 DU 4 JUIN 2021 © COPYRIGHT AUCTIONSPRESS