ART & ENCHÈRES I ÉVÉNEMENT Pierre Maurs, la fibre humaniste Aventurier ou galeriste, il a mené sa vie comme sa carrière, avec la même insatiable curiosité. La dispersion de la collection personnelle de Pierre Maurs révélera le regard d’une époque et un œil d’exception. PAR CAROLINE LEGRAND Peut-être est-ce à cause de sa natu- mer. Les deux amis partent sur les traces de avenue Matignon, puis de devenir trois ans relle modestie que Pierre Maurs Delacroix. Au gré des discussions, ils effec- plus tard expert et courtier, un nouveau (1908-2000) est aujourd’hui tuent le même cheminement que ce dernier métier qui le fera voyager dans toute l’Eu- méconnu du milieu artistique. face à la lumière et aux couleurs méditerra- rope et arpenter les salles des ventes de Pourtant, ce marchand et collectionneur néennes : deux éléments fondateurs des goûts Drouot, Londres, Zurich ou Genève. Indé- mérite d’être révélé tant pour son œil affûté de Pierre Maurs, que l’on retrouvera notam- pendant, l’homme ne se laissait pas dicter ses que pour sa personnalité unique, celle d’un ment au travers de l’aquarelle de Paul Signac, goûts. Au cours de sa carrière, il eut en sa pos- homme passionné et curieux. Ce sera chose Voiliers à Saint-Tropez, à envisager à session des toiles des plus recherchées. « Les faite avec cette dispersion des cent trente- 15 000/20 000 €. Ces années renforcent égale- tableaux de cette vente ne représentent cinq dernières œuvres de sa collection person- ment son attrait pour les civilisations étran- qu’une infime partie de ce que Pierre Maurs a nelle. Enfant, il s’intéressait aux fossiles. gères. Les arts africains, océaniens et indiens pu voir passer dans sa collection. Il a acquis Le commissaire-priseur Rémy Gauthier rap- font aussi partie de sa collection, comme en durant sa vie de collectionneur, mais aussi de porte à ce sujet qu'il « recherchait inlassable- témoigna la dispersion en 2017 d’objets du courtier, des œuvres de grands maîtres ment dans les couches géologiques du Vexin, voyage de la Korrigane. Quelques pièces comme Renoir, Picasso, Boudin, Chagall, et c’est ainsi qu’il exhuma une cérite géante seront présentées le 12 ju,dot un album de Vlaminck, Friesz », explique Rémi Gauthier. qui, à sa mort, rejoignit les collections du trente peintures de style moghol du premier En 2011, son Clown or, le clown rouge de Muséum d’histoire naturelle de Paris ». Mais quart du XVII siècle (30 000/50 000 €, voire Kees Van Dongen fut adjugé à plus de deux son père, armurier et concessionnaire auto- page 129). millions de livres. Sa collection s’étant ainsi mobile, le destine à tout autre chose : la méca- disséminée discrètement au fil du temps, l’en- nique. Dès qu’il le peut, il reprend sa liberté, Dans le monde semble entier présenté à Tours prend une quitte Rouen et commence une vie d’aven- du marché de l’art valeur toute particulière. tures qui le mènera tout d’abord à l’École des Décorateur d’intérieur pour les brasseries et beaux-arts de Paris, puis aux côtés du com- galeries d’art du 8 arrondissement, Pierree Othon Friesz, Van Dongen, mandant Cousteau dans les profondeurs de la Maurs rencontre dans les années 1930 des Dufy et les autres Méditerranée. Mais bientôt, il rejoint la capi- artistes, parmi lesquels Robert Delaunay, Les fauves trouvent ici une place de choix. Ils tale et renoue avec le milieu artistique. Une Raoul et Jean Dufy, Albert Gleizes ou Jean furent l’objet de ses « coups de cœur » dès les sensibilité renforcée lors de son service mili- Metzinger. Dans cette période difficile suite à années 1930, clamant ce traitement des cou- taire effectué entre 1928 et 1930 en Afrique la crise de 1929, il va tenir pas moins de sept leurs dirigé par les émotions qu’il revendi- du Nord, en compagnie du peintre Roger Tol- galeries, avant d’acheter en 1945 celle du 3, quait. Van Dongen est encore présent avec N 16 LA GAZETTE DROUOT N° 22 DU 4 JUIN 2021 © COPYRIGHT AUCTIONSPRESS